Un jardin-forêt

Publié le par Marie-Claire RAVE


Il a le vent en poupe : le concept du jardin-forêt n'est pas nouveau sous nos climats, il a été théorisé dès les années soixante en Angleterre. Mais le réchauffement climatique lui donne un regain d'intérêt, car il va bien falloir cultiver à l'ombre pour résister aux canicules et aux sécheresses. Nous avons visité à Diconne, dans la Bresse bourguignonne, un jardin-forêt créé il y a quinze ans à partir d'un pré et déjà luxuriant et productif : la Forêt gourmande.

Un mode de culture ancestral sous les tropiques
Son créateur, Fabrice Desjours, peut être défini comme jardinier-chercheur, expert en écosystèmes comestibles. Il a parcouru le monde à la recherche des cultures ancestrales de l'Inde, de Sumatra, des Comores, du Costa Rica... Il a découvert chez les peuples premiers les "agricultures invisibles" disséminées dans la forêt, délaissant une parcelle pour lui laisser le temps de se régénérer et en recréant une nouvelle à côté. Ses recherches orientées vers les jardins comestibles ont abouti à ce jardin-forêt expérimental.

Transposition en climat tempéré

Baies sauvages de viorne obier

Les concepts antiques d'ager et d'hortus
L'ager, c'est le champ cultivé. Dans sa version extrême, les vastes monocultures, il est grand consommateur de matériel lourd et coûteux qui dégrade les sols, gourmand en eau et en énergies fossiles, consommateur d'engrais et de pesticides, inhospitalier pour la faune. Il détruit les arbres et les haies pour favoriser la mécanisation."La société construite autour de ce système, dit Fabrice Desjours, accepte tacitement que les calories alimentaires produites soient bien moindres que les calories fossiles dépensées".
Dans ce cadre, le respect de la nature et la durabilité ne sont pas une préoccupation. 
L'hortus à l'inverse est une mosaïque de cultures variées, à l'ombre et au soleil, avec des zones sèches et humides, enrichissant en permanence les sols, avare en énergie, ne connaissant pas les pesticides, fournissant le gîte et le couvert à la faune. Il utilise les capacités extraordinaires des arbres à réguler l'eau et à puiser les nutriments dans le sol pour les amener à la surface dans un cercle vertueux perpétuel.
La transmission d'une nature vivante aux générations futures est profondément ancrée dans la philosophie de l'hortus.

Un jardin qui s'adapte aux changements climatiques
Les événements extrêmes se multiplient.
Face aux tempêtes, avec sa végétation foisonnante le jardin-forêt agit comme un brise-vent.
Face aux sécheresses, il est important de considérer que la réserve utile en eau du sol est avant tout biologique, la circulation de l'eau étant assurée par les racines et les mycorhizes, cette collaboration souterraine entre plantes et champignons. Il faut imaginer que les formes végétales multiples et variées ont leur image inversée dans le sol, avec des systèmes racinaires denses et foisonnants. Ces racines sont capables d'explorer les réserves en eau et, par un phénomène d'ascenseur hydraulique souterrain, de la remonter et de la redistribuer en cas de besoin. En outre, l'humus, le bois mort et les mousses agissent comme une éponge naturelle qui restitue l'eau par temps sec.
Face aux inondations, paradoxalement, ce sont encore les arbres qui facilitent l'infiltration de l'eau dans les sols par un mouvement inverse.

Le jardin-forêt s'inspire de l'hortus, né pour la culture vivrière. Côté cultures commerciales, l'agriculture peut s'en inspirer avec l'agroforesterie, en combinant par exemple de cultures céréalières et  fruitiers sur une même parcelle. Quant au maraîchage, il est tout-à-fait possible de dégager des clairières potagères ensoleillées entre des bosquets ou de le réserver à la lisière sud.

La vigne court dans les arbres

Les sept strates de végétation
Le jardin-forêt est un paysage étagé et luxuriant où toutes les strates de végétation, de préférence pérennes, sont exploitées :
- la canopée, les grands arbres de plus de dix mètres, par exemple les grands fruitiers ou les arbres d'ombrage, 
- les arbustes, de trois à dix mètres, fruitiers de moyenne tige ou sureaux par exemple,
- les buissons, jusqu'à trois mètres, comme les petits fruits, groseillers, framboisiers...
- les herbacées, annuelles, bisannuelles ou de préférence vivaces, de taille variable, depuis la petite salade de dix centimètres jusqu'à l'artichaut et à l'angélique sylvestre de plus de deux mètres,
- les plantes couvre-sol, comestibles ou simplement protectrices du sol, comme le lierre ou les fraisiers des bois,
- les légumes-racines et les tubercules vivaces, tels que le topinambour ou l'igname,
- les grimpantes, mûres sans épines, vigne non taillée, kiwis....
Je cite ici des espèces très locales et connues, beaucoup d'autres espèces venues de tous les continents enrichissent généralement les cultures (voir le § Palette végétale). On y découvre aussi des légumes anciens oubliés, comme la bardane.
Cette classification comporte une part d'arbitraire, car les plantes laissées libres s'adaptent au lieu et ne se laissent pas classer facilement.
Dans un petit jardin il est sans doute impossible de laisser se développer une véritable canopée. On se contentera alors de trognes, ces espèces à grand développement régulièrement étêtées.

Les espèces cibles et les arbres sacrificiels
Puisque l'on vise une forêt nourricière, les arbres à privilégier sont les fruitiers et tous ceux qui produisent des feuilles ou des baies comestibles, des fruits à coque, des feuillles, écorces ou baies médicinales et condimentaires. D'autres essences sans intérêt alimentaire leur sont indispensables pour assurer ombrage, matière organique, protection contre les vents : les arbres dits sacrificiels, ou selon l'expression inventée par Fabrice Desjours, les AFI, A pour achitectural, F pour fertilisant et I pour ingénieur.
Les AFI donnent de la verticalité au jardin, permettant de faire grimper des lianes et donc d'augmenter son rendement, ils fertilisent le terrain par la production d'humus, ils vont puiser l'eau et les nutriments en profondeur et les remonter à la surface.
Pour remplir ces fonctions, on a tout intérêt à planter en nombre des espèces locales, faciles à obtenir à peu de frais par semis. On mélangera des essences pionnières pousse-vite pour créér rapidement ombrage et fertilisation et à leur pied des espèces à croissance lente qui assureront la permanence du paysage boisé.
Les pousse-vite : robinier faux acacias, saule, aulne, bouleau, sureau... et quelques-uns moins locaux, catalpa, caraganiers, paulownia.. 
Les arbres à pousse lente : frêne, hêtre, chêne, merisier, érable, diverses viornes, noisetier, bourdaine...
A partir d'un terrain nu, il faudra une quinzaine d'années pour obtenir une verticalité intéressante. 

Palette végétale
Notre guide jardinier-botaniste de la Forêt gourmande nous accueille avec un glandeur, cet outil en forme de ballon de rugby fait de fils métalliques, capable de capturer les glands au sol. Glander, c'est attendre que les glands tombent pendant que l'agriculteur se casse le dos à retourner la terre. L'idéal du jardin-forêt où tout se mange, au moindre effort !
Sur les 7000 espèces végétales comestibles cultivables en climat tempéré, bien peu sont utilisées aujourd'hui.
Ajouter aux espèces communes des plantes oubliées ou venues d'autres continents permet d'obtenir un jardin nourricier riche et résilient. La moindre partie de la parcelle peut être occupée : plein soleil, ombre ou mi-ombre, lisières, sous-bois. Des espèces surprenantes qu'on croirait tropicales se révèlent rustiques. L'asiminier, ou pawpaw (Asiminia triloba), portant de gros fruits (400 g) aux notes de mangue, d'ananas et d'anone, suppporte -20 à -25 °, le goyavier de Montevidéo (Feijoa sellowiana), aux fruits verts à chair blanche sucrée, -17°, le goumi du Japon (Eleagnus multiflora) aux petits fruits rouges, -25°... Une grande variété d'espèces augmente la résistance du jardin aux aléas climatiques.
Quant aux espèces oubliées, elles sont parfaitement adaptées aux micro-climats actuels. Toutefois ces climats sont en train de changer et nous imposeront de revoir notre copie.
Les espèces venues d'ailleurs participent à l'esthétique du jardin : l'arbre aux haricots bleus (Decaisnea fargesii), le (ou la) schisandre de Chine (Schisandra chinensis), l'akébie à cinq feuilles (Akebia quinata), le cornouiller du Japon (Cornus kousa), bien placés, offrent des surprises au détour des chemins.

Abékie à cinq feuilles, schisandre de Chine, cornouiller du Japon, arbre aux haricots bleusAbékie à cinq feuilles, schisandre de Chine, cornouiller du Japon, arbre aux haricots bleus
Abékie à cinq feuilles, schisandre de Chine, cornouiller du Japon, arbre aux haricots bleusAbékie à cinq feuilles, schisandre de Chine, cornouiller du Japon, arbre aux haricots bleus

Abékie à cinq feuilles, schisandre de Chine, cornouiller du Japon, arbre aux haricots bleus

Les guildes et le compagnonnage, les successions végétales
Bien sûr il est possible de planter un peu au hasard et d'acquérir de l'expérience peu à peu. En revanche on gagnera du temps à étudier préalablement les associations de plantes éprouvées, ou guildes, et à les adapter à son terrain. Pour créer un jardin boisé à partir d'un terrain nu, on doit également maîtriser les successions végétales existant dans la nature, prairie puis plantes pionnières puis petits arbres ligneux, jusqu'au stade forestier. La connaissance des espèces permet de recréer en accéléré le processus naturel. 

 Et l'esthétique ?
La finalité ancestrale du jardin-forêt est la polyculture vivrière. Mais pourquoi pas créer un jardin-promenade en sous-bois ? En visitant celui de Diconne, on est frappé le long de la première allée par un aspect hirsute, puis on découvre au détour d'un chemin un abri de pique-nique ou bien un arbre isolé à l'aspect graphique, le pignon ensoleillé d'un bâtiment abritant des jujubiers, de petites clairières, une mare, un bosquet plus sombre... 
L'architecture du jardin boisé permet l'alternance de divers paysages. Il autorise l'imbrication à volonté de la jungle et de potagers structurés, de plantes locales (plutôt des AFI) et de plantes exotiques ou étonnantes (plutôt les espèces-cibles). Les diverses strates entremêlées donnent une verticalité spectaculaire et dépaysante. 
Lors de  la conception du jardin, le tracé des circulations est primordial. Il déterminera à la fois l'efficacité du travail et l'esthétique. Plus le jardin  est grand, plus les cultures sont disséminées et les allées espacées. Plus le jardin est petit, plus les cultures sont intensives, les allées nombreuses et l'espace optimisé. Le plan parfaitement adapté est alors le trou de serrure : il minimise les zones de passage au regard des zones cultivées et permet de gagner en surface productive. Visuellement, il satisfait notre besoin de structure et de repères.

L'intérêt pour la faune
On évitera la visite des chevreuils et des sangliers. La haie de Benjes peut être une solution partielle, complétée par des clôtures et grillages classiques en respectant la bonne maille (voir Pourquoi et comment laisser circuler la faune dans son jardin). 
Le jardin-forêt avec son espace tridimentionnel est un pays de cocagne pour les oiseaux. Les hérissons qui détestent les milieux ouverts s'y sentent protégés, les amphibiens et les libellules colonisent l'indispensable point d'eau, les papillons apprécient quelques plantes-hôtes ajoutées à leur intention...
Les ravageurs ne sont pas néfastes par nature, c'est leur surpopulation qui devient destructrice. La solution consiste bien souvent à restaurer les équilibres naturels. Des chaînes alimentaires complexes se sont créées au fil de millions d'années d'évolution ; en plantant des espèces locales on reconstitue l'équilibre proies-prédateurs. En multipliant les espèces végétales sacrificielles on offre une grande variété alimentaire à la faune, ce qui réduit la pression de la prédation.
Pour l'application pratique : voir les exemples des limaces, des chenilles processionnaires, de la pyrale du buis, des hannetons, des pucerons, des tenthrèdes...
 

Sources, informations complémentaires
Jardins-forêts, un nouvel art de vivre et de produire
, Fabrice Desjours, éditions de Terran, 2019
Le jardin est visible en visite commentée uniquement (payante), à partir du site de
la Forêt gourmande
- soit sur inscription individuelle selon un programme préétabli du printemps à l'automne
- soit en groupe sur demande.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
👍🏻 Merci
Répondre