Réguler les pucerons naturellement
Comme pour la gestion des limaces, Hervé Coves, ingénieur agronome passionné de permaculture et d'agroécologie, conseille une gestion holistique, c'est-à-dire globale, des pucerons grâce à la connaissance de leur cycle de vie et des interactions entre plantes et auxiliaires.
Une solution très temporaire : le sucre
Les plantes ont besoin de gaz carbonique. Elles sont nées à une époque où la concentration de CO2 dans l'air était de 1200 PPM contre 400 aujourd'hui. Elles tolèrent donc très bien un taux de gaz carbonique élevé, c'est même dans ces conditions qu'elle poussent le mieux, au point que certains producteurs injectent du gaz carbonique dans leurs serres pour augmenter la productivité. Elles ont cependant développé des stratégies pour fonctionner avec moins. La première tactique est de diminuer la paroi de leurs cellules, ce qui a pour inconvénient de les rendre plus vulnérables aux pucerons. En cas d'attaque de pucerons, elles doivent au contraire produire des parois plus épaisses, au prix d'une importante dépense d'énergie.
Comment la plante se rend-elle compte de la présence de pucerons ?
Les pucerons rejettent dans leurs excréments l'excédent de sucre qu'ils ont absorbé. C'est alors que la plante perçoit ce sucre grâce à des capteurs spécifiques. Ce phénomène a été vérifié en laboratoire.
Pour rendre la vie plus difficile aux pucerons et autres insectes ou araignées, il suffit donc de pulvériser sur les cultures une solution sucrée (10 grammes par litre) qui déclenchera l'épaississement des parois des cellules. Les sucres efficaces sont le fructose, le glucose, tous les sucres que l'on trouve dans le miel, et non le saccharose consommé par les humains.
Attention, cette méthode n'est pas homologuée, donc illégale !
Ne pas le faire à mauvais escient. Il faut réserver ce traitement à des cas très particuliers, par exemple à un endroit bien précis de la serre à l'arrivée des premiers pucerons, d'autant plus que cela ne règle pas le problème car les pucerons sont moins agressifs mais toujours bien là.
Les associations de plantes et les auxiliaires : l'expérience d'une culture de framboisiers
Les framboisiers sauvages ne portent presque pas de pucerons. Or, dans une culture expérimentale à partir de framboisiers sauvages prélevés dans un chablis en Haute Corrèze, tous les plants sont morts de toutes les maladies possibles. Hervé Coves a donc mené une étude des associations de plantes sur un site où les framboisiers prospèrent de manière extraordinaire, et a établi de statistiques grâce à la base de données du professeur Brice. Celui-ci a collecté les 4 700 plantes sauvages de France et toutes leurs associations constatées dans la nature.
Quand les plantes vivent ensemble depuis longtemps, il s'établit des relations complexes. Chacune de ces plantes héberge un puceron particulier, le puceron du sureau par exemple n'est pas le même que celui du framboisier. Ces deux plantes ne poussent pas en même temps, et "leurs" pucerons arrivent successivement. Plus précisément, on observe sur l'année la succession de pousse ou de floraison suivante, et donc les pucerons qui vont avec : 1. aspérule - 2. sureau - 3. framboisier - 4. sapin - 5. épilobe - 6. épicéa - 7. hêtre - 8. séneçon - 9. fougère.
Cela permet à un grand nombre d'insectes auxiliaires, prédateurs du puceron, d'avoir à manger toute l'année et donc de rester sur place. Ainsi, dans les écosystèmes naturels, chaque plante paie un petit tribut aux pucerons, mais cela permet d'avoir des auxiliaires toute l'année. Il suffit qu'une plante manque dans la chaîne pour que les prédateurs disparaissent, envolés ou morts de faim, et que les pucerons pullulent.
Dans sa plantation, où les sureaux avaient été coupés, Hervé Coves a donc replanté dix sureaux sur 3000 m². Au bout de deux ans sont arrivées trente larves de syrphes, et dès la naissance des premiers pucerons du framboiser, ces larves de syrphes ont suffi à réguler la population de pucerons sur les 3000 m² de culture.
Les purins
Sur d'autres parcelles, les coccinelles, les syrphes et les chrysopes ne suffisaient pas à dévorer les pucerons. Trois purins ont été testés sur les framboisiers : purin d'ortie, purin de consoude et purin toutes plantes. Leur rôle de pesticide n'étant pas scientifiquement prouvé, c'est dans une autre optique qu'ils ont été expérimentés. L'objectif était de mesurer la biodiversité des parcelles.
La première année, sont apparus des diplopodes, qui ne consomment pas habituellement de pucerons, et pourtant ils les ont mangés. Que s'est-il passé ?
L'explication est la suivante. Il y a deux moments où "ça grouille de bestioles" : le printemps et les périodes de décomposition. Au printemps, autour d'un tilleul par exemple, les parfums attirent les insectes pollinisateurs et leurs prédateurs. De la même façon, près du compost, les odeurs de pourriture attirent les collemboles et toute la micro-faune inféodée au sol. Le diplopode, sorti de terre pour manger en principe des collemboles, a escaladé les framboisiers à odeur de purin et y a trouvé des pucerons... qu'il a dévorés. Comprenant qu'il y avait à manger sur les framboisiers, il a continué son festin même dans la parcelle témoin qui n'avait pas été traité au purin.
Les staphylins sont aussi remontés du sol et ont régulé les pucerons, puis ce fut le tour des carabes.
Les purins fonctionnent en fait comme des leurres : ils attirent de nouveaux organismes qui régulent les pucerons en créant de nouvelles relations qui n'existaient pas dans la nature.
Cet équilibre est tout sauf stable. En utilisant un purin, on amène une nouvelle donnée qui va créer temporairement un nouvel équilibre. Pour avoir le plus de chance d'avoir une dynamique, la solution est de créer une grande richesse de vie. On peut par exemple avoir plusieurs types de compost, bois exclusivement, feuilles exclusivement, tout-venant... En créant des hétérogénéités, de nouveaux liens se créent, et une stabilité globale apparente se met en place.
Les parfums
En l'absence de floraisons, on peut les imiter en pulvérisant des tisanes de fleurs, car les purins sont efficaces mais leur goût n'est pas très adapté aux framboises. Si l'on pulvérise une tisane de lavande ou de menthe sur une plante, les pollinisateurs, et à leur suite leurs prédateurs, seront attirés, et déçus de ne pas trouver la fleur attendue, ils se rabattront sur les pucerons qui se trouvent là.
Quelle est la tisane qui convient à la régulation des pucerons ? Pour le moment on n'a pas d'étude scientifique qui réponde à la question, mais il suffit d'observer et de trouver la fleur du moment dans les environs. Les plantes ne sont donc pas insecticides ou biocides, au contraire elles apportent une nouvelle richesse qui joue un rôle régulateur. Une autre expérience vécue avec la piéride du chou va dans le même sens.
Conclusion
La solution n'est pas d'éliminer les pucerons, mais de créer un équilibre dans la parcelle grâce à la variété des espèces animales et végétales. Les associations de plantes et les relations entre plantes et auxiliaires ne sont pas encore décrites de manière scientifique. L'agroécologie est plutôt une méthode pragmatique. Si une association de plantes fonctionne dans un écosystème et pas dans un autre, les expériences décrites dans cette conférence ont au moins le mérite de sensibiliser les agriculteurs et les jardiniers à l'observation, à la réintroduction de plantes sauvages dans leurs cultures et à l'utilisation de la biodiversité de leur site.
Sources, informations complémentaires
Conférence d'Hervé COVES, 2013. Conférence sans images, un peu longue, une heure environ, je vous conseille vivement de l'écouter comme la radio en faisant autre chose.
Pour préserver une riche biodiversité et ainsi réguler les insectes, voir Abris et nichoirs, Inviter la faune au jardin, Une haie pour les oiseaux, Une mare pour la faune, etc.
A retrouver dans le livre Merveilleuse faune du jardin
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