Une mare pour la faune
Les mares disparaissent des campagnes, par manque d'entretien, du fait de l'urbanisation des terres agricoles et de l'assèchement des zones humides. Pourtant ce sont des écosystèmes en miniature extrêmement riches et changeants, dont les enfants ne se lassent pas. Toutefois, quelques précautions doivent être prises. Soyons conscients que les mares et bassins représentent un marché. Avant de dévaliser les jardineries et magasins de bricolage, prenez le temps de vous renseigner sur les erreurs à ne pas commettre sur les plantes et matériaux, vous trouverez peu de sites commerciaux pour en parler.
Le plan : favoriser des expositions variées
Pour multiplier les expositions ombre, mi-ombre et soleil, et pour augmenter la longueur des berges, il est conseillé de créer une forme irrégulière, souple, mais pas trop tarabiscotée. Un plan en forme de haricot permet de respecter ces contraintes.
Le profil de la mare
Des paliers
Après avoir observé de nombreuses mares très vivantes dans les parcs et châteaux de ma région, je pense que l'idéal est de constituer des paliers de 20 à 40 cm de largeur et de hauteur sur les trois quarts du bassin, au nord, à l'est et à l'ouest, et une pente douce sur un quart, au sud. Ainsi divers micro-biotopes accueilleront une faune variée.
Un substrat doit se constituer, pour que les plantes s'enracinent spontanément. Les paliers doivent donc être légèrement inclinés vers l'extérieur pour retenir la vase, pour éviter que les plantes des bords ne glissent vers le fond, ou pour caler les paniers ajourés de plantes aquatiques que vous y placerez.
La profondeur
Au milieu de la mare, pour protéger la faune du gel, la profondeur doit être de 1,20 m dans la plupart des régions de France, et de 1,50 m en région froide. Un grand volume d'eau assure une certaine inertie thermique et atténue également les fortes chaleurs au fond de l'eau.
En combinant toutes ces contraintes, on peut obtenir les paliers suivants :
- si l'on dispose de 4 m de largeur et de 1,20 m de profondeur, 3 paliers de 30 cm (l * h) et une pente douce de 3,10 m ;
- si l'on dispose de 6 m de largeur et 1,20 m de profondeur, 3 paliers de 40 cm (l * h), un fond plat de 1,80 m et une pente douce de 3 m.
Une pente de plus de 40 % est difficile à gérer. Donc pour une profondeur de 1,20 m, il faudrait disposer de 3 m pour avoir une pente correcte.
Il n'empêche qu'on peut créer une toute petite mare, à partir de 3 m², qui n'autorisera pas à la fois une pente douce et une profondeur de 1,20 m. L'équilibre d'une mare étant fragile, un petit volume d'eau permettra déjà une biodiversité intéressante mais demandera plus de vigilance..
L'alimentation en eau
Il serait dommage d'utiliser l'eau du robinet, qui a un coût. La meilleure solution est de creuser la mare à l'automne, de la laisser se remplir naturellement l'hiver. On peut accélérer le processus en la reliant temporairement au chéneaux de la maison pour récupérer l'eau du toit. Si la mare, par son emplacement, recueille les eaux de ruissellement, veiller à ce qu'il n'y ait en amont ni engrais ni herbicides ni pesticides. Pour les produits chimiques, c'est une évidence. Pour les engrais, une eau trop riche en azote et en phosphore (provenant des nitrates et phoshates agricoles et aussi des eaux usées) provoque l'eutrophisation de l'eau, c'est-à-dire une croissance excessive des plantes et des algues, ce qui provoque cet aspect verdâtre et trouble des eaux stagnantes.
Les variations du niveau d'eau
Les mares naturelles peuvent s'assécher une partie de l'année, la faune et la flore savent donc s'y adapter. L'intérêt des plantes locales est de tolérer une sécheresse passagère habituelle dans votre région.
En revanche, lorsque l'on souhaite une mare toujours pleine, pour éviter les mauvaises surprises, il faut calculer préalablement les besoins en eau pour la recharger pendant l'été. En hiver la mare se rechargera très régulièrement en eau, et même débordera, en été l'évaporation ne sera pas compensée par la pluie. Un site vous donne des exemples de déperdition quotidienne par évaporation dans un article, les phénomènes de perte d'eau dans les bassins. Vous pouvez ainsi calculer la réserve d'eau nécessaire pour recharger la mare dans l'hypothèse de deux mois sans pluie par exemple.
Des échelles de sauvetage
En cas de chute d'un animal dans l'eau, il est prudent de prévoir des moyens pour remonter la pente : surfaces rugueuses, branches solides, feutre, échelles...
L'imperméabilisation
Rares sont les terrains qui bénéficient d'une nappe affleurante et d'une couche d'argile suffisamment épaisse. On n'a donc pas le choix : il faut imperméabiliser artificiellement. Ne vous laissez pas séduire par un bâche en plastique économique, elle risque de libérer des produits nocifs, préférez une bâche en caoutchouc, plus chère mais plus saine. Mieux vaut faire un bassin plus petit mais de meilleure qualité écologique.
Une végétation locale
En laissant faire la nature, les plantes qui coloniseront spontanément seront particulièrement adaptées à la faune. Mais c'est long ! Il faut deux ou trois ans pour que se constitue le substrat, que les plantes s'y installent et qu'arrivent le microplancton, la population d'insectes, etc. Pour les jardiniers pressés, quelques astuces :
- Ne pas trop végétaliser, beaucoup de plantes aquatiques sont envahissantes, et même laisser une partie non végétalisée pour accéder à l'eau et observer de près, et pour permettre de boire aux petits animaux qui n'aiment pas se faufiler dans les plantes.
- Choisir des espèces locales, en observant les zones humides de votre région.
- Prélever des plants ou boutures (sauf espèces protégées !) dans la nature, ou bien acheter en jardinerie en vérifiant le nom scientifique de la plante que vous aurez préalablement choisie et en vous documentant, car rien n'est plus vague que "nénuphar" ou "prêle".
Pour abriter la plus grande biodiversité possible, chaque étage de la mare accueillera les plantes adaptées. Mélangez des plantes hautes et basses, légères et denses, de façon à ce que tous les animaux y trouvent leur bonheur.
- Les plantes de haut de berge doivent avoir les racines toujours humides : linaigrette ou herbe à coton (Eriophorum angustifolium), cardamine des prés (Cardamine pratensis), épiaire des marais (Stachys palustris), pulicaire dysentérique (Pulicaria dysenterica), consoude officinale (Symphytum officinalis)...
- Les plantes semi-aquatiques, ou hélophytes, plantes de zones exondées, doivent avoir le rhizome dans la vase sous l'eau et les feuilles hors de l'eau : iris des marais (Iris pseudoacorus), massette (Typha latifolia), myosotis des marais (Myosotis scorpioides), populage des marais (Caltha palustris), menthe aquatique (Mentha aquatica)...
- Les plantes aquatiques, ou hydrophytes, peuvent être flottantes ou enracinées : cératophylle épineux (Ceratophyllum demersum), renoncule aquatique (Ranunuculus aquatilis)...
Proscrire les plantes exotiques devenues, ou devenant invasives, comme le myriophylle du Brésil (Myriophyllum aquaticum), je me suis fait prendre... ou la jussie (Ludwigia grandiflora et autres plantes du genre Ludwigia).
Néanmoins, je ne m'interdis pas de craquer en jardinerie, et d'acheter des plantes cousines des plantes locales, comme la très rigolote barbe-à-papa cousine de la reine des prés (Filipendula ulmaria), ou l'eupatoire pourpre, variété horticole de l'eupatoire chanvrine (Eupatorium cannabinum), qui aiment les terrains humides.
Des pierres et des abris
Ainsi, en installant une dizaine de plantes et quelques pierres dans une mare créée au printemps, j'ai obtenu dès le premier jour une grenouille, puis trois autres en quelques jours, et dès le printemps suivant la naissance de dizaines de têtards, et plusieurs petits tritons. Comme les dimensions des plantes, les dimensions des pierres ou morceaux de bois doivent être divers pour répondre aux besoins d'animaux variés, car la prédation est très forte dans une mare.
Finition des bords apparents
La plupart du temps, la mare est imperméabilisée par une bâche, l'argile étant plus difficile à utiliser. Or, je trouve insupportable de voir les bords de la bâche,
1. c'est laid,
2. la bâche doit être protégée des rayons UV,
3. la petite faune doit pouvoir remonter vers les bords en cas d'accident.
Voici donc mon astuce.
La bâche est installée sur un feutre pour éviter le poinçonnement par les petits cailloux du sol. Après découpage du feutre par le professionnel, il vous reste des chutes qui ont approximativement la forme de la berge. Vous pouvez découper une bande de ces chutes pour en recouvrir la bâche aux endroits où elle est apparente, notamment du côté en pente douce. Le feutre sera rapidement colonisé par une végétation rase et prendra un aspect de pierre moussue. Mais attention, le feutre produit un "effet mèche" et fait remonter l'eau par capillarité vers les abords. Je coupe donc le feutre, une fois installé, entre l'eau et le sol et je le fixe à nouveau de façon à ce que les deux bords se touchent à peine : cela interrompt la remontée de l'eau par capillarité. On peut utiliser une couture avec un fil de nylon ou des agrafes.
Pas de canards ni de poissons !
A moins de disposer d'un hectare, les canards ou les poissons auront vite fait de "nettoyer" votre mare de toute la flore et la faune qu'elle abrite.
Et les moustiques ?
Dans un écosystème équilibré, aucun risque car la faune prédatrice des moustiques consomme les larves et les adultes. Rien à voir avec les soucoupes de vos pots de fleurs remplies d'eau stagnante où les larves prolifèrent en toute tranquillité !
Le grand luxe : un réseau de points d'eau, et pourquoi pas du land art ?
Pour multiplier encore la variété des milieux, selon le terrain dont on dispose, on peut créer plusieurs petites mares reliées par des canaux. En effet les tritons et plusieurs grenouilles ont besoin de plusieurs biotopes pour se développer. C'est le cas dans les espaces de promenade du château de Chaumont-sur-Loire, en marge du Festival des Jardins, où l'imagination n'a pas de limites, sans pour autant perturber la faune qui semble apprécier l'art contemporain. Quelques photos.
Sources, informations complémentaires
Essentiellement expérience personnelle
Conseils de la Société d’histoire naturelle d'Autun
Le réseau des Conservatoires des Espaces Naturels pour des listes de plantes adaptées à chaque région, de plantes invasives, d'espèces protégées ; taper "mare" dans la zone de recherche.
Comme toujours, la LPO, Tela Botanica...
Pour la technique de construction, le site Aquajardin, attention il n'est pas consacré uniquement aux mares naturelles
Pour les habitants de la mare, La Salamandre - la revue des curieux de nature, numéro d'avril-mai 2018, l'article "Mare mystérieuse"
Merci à un contact Facebook, militant de la nature, qui se cache derrière le pseudonyme de Mario Leschtisosios, pour ses conseils.
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