Au delà du jardin, la renaturation d'une petite rivière
C'est une balade au bord du Bezo, un affluent du Sornin lui-même affluent de la Loire, qui m'a fait découvrir l'action patiente et déterminée de Céline Dechavanne, responsable du projet, pour rendre à cette petite rivière son cours naturel et la qualité de son eau. Même si l'on ne dispose pas d'une rivière dans son jardin, cette démarche est source d'inspiration pour une cohabitation harmonieuse de l'Homme et de la nature.
Quel est l'objectif du projet ?
Dans les années 70, le cours de la rivière a été rectifié, tiré au droit et bordé d'une digue rectiligne pour protéger un nouveau quartier des inondations. Le Bézo s'est alors progressivement dégradé et le nouveau projet a dû répondre à de multiples enjeux.
Céline Dechavanne : "On a dû refaire une digue, plus sûre pour les habitants et plus éloignée du cours d'eau afin qu'il puisse retrouver sa forme naturelle et sa végétation. En même temps on a créé le sentier qui permet de découvrir le site, jalonné de supports pédagogiques pour sensibiliser le grand public à tous les enjeux liés à une rivière en bon état.
Bien souvent, dans la tête de nos concitoyens, nous travaillons pour faire plaisir aux poissons. Ils ne font pas faire le lien entre la rivière et l'eau potable, la sécurité ou la qualité de vie. C'était là l'occasion pour nos équipes de travailler près de la ville sous le regard des habitants, et non pas seuls dans les prés, loin de tout. Elles ont pu expliquer leur mission."
Un castor
Le retour du cours naturel s'est révélé très efficace pour la faune puisque très vite sont arrivées des espèces exigentes sur la qualité de l'eau. On voit désormais un castor qui fait ses coupes de bois régulièrement et qui se déplace dans tout le secteur car il a besoin d'espace pour vivre.
Une loutre
Quelques semaines après la fin des travaux, les traces d'une loutre ont été repérées, comme si elle guettait le départ des engins de chantier.
Un joyau de biodiversité locale
Le sentier nous conduit au bord d'une prairie de hautes herbes particulièrement dense.
CD : "Ici nous arrivons à un joyau de biodiversité locale. Lors des études préalables aux travaux, des inventaires faune-flore ont été réalisés sur tout le site, et on a découvert plus de 200 espèces végétales dans cette prairie, et d'innombrables insectes liés à ces plantes. D'abord c'est une praire uniquement fauchée, il n'y a pas de pression humaine, pas de pâturage, pas de cultures. En outre on y trouve de nombreux milieux différents, des zones sèches, humides, des bords de cours d'eau, et diverses expositions. Avant les travaux, aux alentours c'était un désert. On a donc décidé d'utiliser la technique de la fleur de foin pour ré-ensemencer tout le site, en récoltant des fleurs sur d'autres prairies naturelles."
Des espèces rares
Côté animal, parmi les espèces à protéger absolument, deux demoiselles bleues, l'agrion orné et l'agrion de Mercure, très difficiles à distinguer à l'oeil nu parmi les autres agrions, ont été repérés par les bénévoles qui ont participé à l'inventaire des espèces animales. Pour les préserver, on a prélevé leur petit habitat pour les reconstituer un peu plus loin pendant les travaux et les remettre en place après. Pour compléter cet habitat, on recréera cet été des zones à hélophytes, ces plantes qui poussent les pieds dans l'eau et développent leur feuillage au soleil, comme les joncs, les iris, les massettes, sur lesquels les libellules viennent pondre. Dans ces zones on plante moins d'arbres pour conserver des milieux plus ouverts.
Côté végétal, on trouve une espèce d'arbre de plus en plus rare, le cerisier à grappes.
Guêpiers d'Europe, martins-pêcheurs, hirondelles des rivages
Qui dit insectes dit hirondelles...
CD : "Les hirondelles sont très nombreuses ici, on les voit qui suivent les méandres de la rivière, elles récupèrent aussi de la boue".
Nous supposons que les hirondelles de fenêtre et les hirondelles de cheminée vont directement construire leurs nids dans les rues de Charlieu, sous les toits des vieilles maisons à pans de bois.
CD : "Nous verrons un peu plus loin une berge typique du Sornin aval, qui s'écoule sur des terrains assez meubles, facilement érodés par la rivière. Ce qui n'est pas un problème pour tout le monde, parce qu'on y voit des petits trous, qui sont des nids d'hirondelles des rivages. Les oiseaux qui ont besoin de berges naturelles pour creuser leur nid colonisent cet endroit : les hirondelles des rivages, mais aussi les guêpiers d'Europe et les martins-pêcheurs. Par rapport au passé, tout ce qui vole et tout ce qui vit ici, c'est impressionnant !"
Les rives du Bezo n'échappent pas à l'invasion de cette renouée impossible à éradiquer. Pour la limiter, le syndicat mixte de rivière a renoncé au fauchage, car il faudrait répéter l'opération cinq ou six fois dans l'année, ce qui mobilise une équipe à plein temps d'avril à novembre. Lors des gros chantiers de rénovation, l'arrachage est privilégié, en décaissant sur quatre à cinq métres de profondeur pour atteindre la totalité des rhizomes. Pour les séparer de la terre contaminée, on la crible, les rhizomes sont ensuite évacuées soit vers une décharge contrôlée, soit vers un centre de compostage qui accepte et traite ce type de végétaux. |
De multiples bénéfices pour la population
. La qualité de l'eau du robinet
CD : "L'eau de la ville est puisée dans la nappe d'accompagnement du Sornin et du Bézo, donc ce qui se passe dans la rivière a un lien direct avec d'une part la qualité de l'eau qu'on boit, et d'autre part la quantité que l'on peut prélever. Auparavant, le tracé rectiligne avait causé un colmatage complet de la rivière, car un fossé trop large entraîne une hauteur d'eau insuffisante, de l'eau qui se réchauffe trop vite, qui s'eutrophise en été, tout cela était très défavorable à l'infiltration de l'eau dans la nappe et donc à la capacité de production d'eau potable de la ville de Charlieu. Désormais on a pris le parti inverse. En redonnant la forme la plus naturelle possible au cours d'eau, on rallonge le linéaire, on fait en sorte que son gabarit soit plus étroit donc qu'il puisse déborder plus souvent pour mieux alimenter sa nappe d'accompagnement. On obtient aussi des fonds qui sont devenus sableux, graveleux, plus favorables à l'infiltration dans la nappe. Les arbres plantés de part et d'autre du cours d'eau, avec leur système racinaire et toute la vie du sol qui va avec, se développeront et favoriseront aussi le stockage de l'eau dans le sol."
. La gestion du risque inondation
"Les crues sont intéressantes pour la gestion de l'eau. Mais à la création du nouveau quartier dans les années 70, la préoccupation majeure était de protéger les habitants de ces crues et on a fait ce qui se pratiquait à l'époque : construire des digues, creuser de grands fossés pour empêcher l'eau de déborder. On a alors perdu tous les avantages liés à la production d'eau potable, sans compter la perte de biodiversité. Fin 2018, on nous a confié la compétence GEMAPI (gestion de l'eau, des milieux aquatiques et la prévention des inondations), et donc la responsabilité de la digue qui bordait le Bézo, digue qui était dans un état catastrophique. Cette mission de rénovation fait partie intégrante du projet."
. Une importante étape de concertation
CD : "Cette nécessité de restaurer la digue nous a donné l'idée d'associer les élus et les habitants à la conception globale de l'opération, ce qui a pris énormément de temps mais qui a assuré la réussite du projet. Il a même été enrichi, puisqu'un groupe de botanistes a travaillé bénévolement à l'inventaire de la flore et que l'idée d'un sentier a germé."
. Un sentier pédagogique et un observatoire
Ce sentier de trois kilomètres permet aux Charliendins de se réapproprier cet espace sans déranger la faune, d'être informé de l'esprit des travaux effectués, de connaître la biodiversité du lieu, d'être sensibilisés aux enjeux de la renaturation...
Pour offrir au public une vision d'ensemble du nouveau paysage, un observatoire a été commandé à un artisan local, travaillant sur du bois local scié par une scierie non moins locale. Cette construction originale est très réussie.
. Un lien avec le verger conservatoire
Pour gagner en cohérence, des fruitiers ont été ajoutés aux espèces sauvages et le sentier rejoint la ville par le verger conservatoire planté en 2020.
Un méandre arboré protecteur
Nous arrivons devant un grand méandre du Sornin, près de la confluence avec le Bézo, planté de peupliers, accompagnés d'autres arbres qui se sont développés spontanément.
CD : "C'est un endroit stratégique vis-à-vis du risque inondation, car quand le niveau d'eau monte et que les crues arrivent, elles transportent beaucoup de flottants, de bois mort, et ces plantations font un "peigne", ça les capture, ça les bloque, avant que la masse arrive à Charlieu et se coince sous les ponts. On sait donc qu'il est important de garder cette zone boisée, outre l'intérêt pour les oiseaux et les chauves-souris qui vivent nombreux ici. Et d'ailleurs il est prévu pour le public un point d'écoute des oiseaux avec un mécanisme ludique et des illustrations."
Création d'une forêt alluviale
CD : "Ici on arrive au bord de la plantation de nos 11 000 arbres et arbustes, les plus bas au bord de l'eau, les plus hauts, sureaux puis érables, un peu plus loin. On ne fauche pas, ce qui permet aux jeunes plants d'être protégés du soleil. Leur carré de paillage empêche l'herbe de les étouffer. C'est une zone sauvage qu'on laisse à la nature, on ira simplement faire des éclaircies si nécessaire.
Arbres morts
CD : "Lorsqu'on fait des travaux d'entretien de rivière (et on en fait le moins possible, sauf en amont dans les endroits où il y a des risques d'inondation, justement pour gérer cet écoulement hydraulique dans les zones sensibles, éviter les bouchons sous les ponts), on conserve les arbres morts parce que c'est un habitat très riche pour une multitude d'animaux. En revanche, c'est encore très ancré dans les têtes d'éliminer les arbres morts. Nos équipes se voient reprocher de ne pas assez "nettoyer", elles doivent expliquer que trop nettoyer c'est tuer, que ça appauvrit le milieu, que ça le rend aussi plus fragile. Pour les agriculteurs, c'est très difficile à entendre car on leur a toujours appris à nettoyer leur parcelle, couper les arbres morts tout de suite, avoir des terrains tirés au cordeau. C'est une évolution culturelle pas évidente, qui est longue, alors qu'au contraire elle devrait être très rapide, car on est arrivé à un stade où tout devient important et urgent.
La cohabitation entre la nature et l'agriculture
Le piétinement des vaches provoque quelques dégâts sur les berges et sur la qualité de l'eau. Sans remettre en cause l'élevage, les prairies pâturées ont adaptées : clôtures legèrerement redessinées, accès à la rivière remplacé par un abreuvoir, aménagement de passerelles à bétail (pour un coût de 10 000 € tout de même).
Pour maintenir les berges, mieux vaut laisser pousser les arbres et développer leur système racinaire, qu'un enrochement. En fait l'enrochement renvoie le courant d'autant plus fort en face donc ça déplace le problème, sans compter que ce n'est pas très durable car dès qu'un bloc est déstabilisé, tout s'écroule. Et c'est beaucoup plus coûteux que poser des clôtures et planter des arbres !"
Pas de changement pour les agriculteurs : le foin traditionnellement mis à leur disposition à tour de rôle par la mairie leur reste acquis. La qualité du foin a même été améliorée par le semis de fleur de foin : meilleure qualité de fourrage, meilleure résistance à la sécheresse.
Pour revenir au jardin, chacun peut et doit faire sa part, mais l'efficacité reste une question d'échelle. On ne créera pas un ilôt de biodiversité dans un océan de destruction. Que faire alors ? Encourager les projets de renaturation à tous les échelons, les relier entre eux en intégrant son jardin dès qu'on en a l'opportunité, préserver les lieux sauvages dès qu'on en a l'occasion, apprendre à connaître la faune et la flore pour respecter leur cycle de vie... Vaste programme !
Sources, informations complémentaires
Céline Dechavanne, Ingénieure en sciences et technologies de l'eau, directrice du SYMISOA (Syndicat mixte du Sornin et de ses affluents)
Le SYMISOA, 321 rue de Marcigny, 42720 POUILLY-SOUS-CHARLIEU
04 77 60 97 91
Le site du SYMISOA
notamment les communes et la carte du bassin versant
et les photos de la biodiversité