La lutte biologique, version douce

Publié le par Marie-Claire RAVE

Coccinelle au milieu des aleurodes


Lutte biologique, biocontrôle, lutte intégrée sont des notions utilisées aussi bien pour les immenses monocultures à grand renfort de prédateurs exotiques ou élevés en laboratoire, que pour nos jardins. Ici il ne sera question que d'organismes vivants présents sur notre sol. Toute culture, fleurs, potager, fruitiers, introduit dans la nature un nouvel écosystème qu'il suffit de rééquilibrer. Alors que les produits de synthèse détruisent ce fragile équilibre, selon mon expérience de jardinière la lutte biologique est l'optimisation de l'écosystème du jardin en utilisant tous les êtres vivants du lieu et leurs interactions.

En prévention, avant l'arrivée d'un ravageur
Les soins du sol sont indispensables à une belle production végétale : un sol équilibré, du compost, un paillage, des engrais verts offrent de bonnes conditions de culture pour des végétaux en très bon état sanitaire. Le respect de la faune du sol participe à l'équilibre du jardin, la chaîne alimentaire sous la surface étant aussi importante que celle de l'air libre. La décomposition et le recyclage sont des fonctions essentielles assurées par tout un cortège d'organismes à préserver absolument : cloportes, vers de terre, carabes...
Plutôt que des variétés standard, on a intérêt à cultiver des variétés de légumes parfaitement adaptées au micro-climat et au sol, sol qu'on peut toujours amender mais pas remplacer. Seul le partage d'expérience obtient ce résultat, par la recherche de variétés anciennes oubliées et l'observation de ce qui fonctionne bien à l'échelle de la toute petite région. Pour les variétés greffées, c'est aussi le porte-greffe qui doit être adapté.
Les populations qui reviennent chaque année, comme les piérides ou les altises, peuvent être limitées par anticipation, par exemple en installant des filets anti-insectes. Ainsi on évitera d'avoir à utiliser des produits phytosanitaires quelques semaines plus tard.

Caloptéryx éclatant à la recherche de phytophages

Eradication
ou seuil de tolérance ?

On est souvent formaté par les générations précédentes pour rechercher un jardin "propre" et des légumes semblables à ceux des supermarchés. Or plus on traite, même avec des produits dits biologiques, plus on a besoin de traiter car les prédateurs du ravageur ont déserté les lieux. L'objectif n'est pas de détruire une population d'agresseurs, mais de la ramener sous le seuil du tolérable, seuil qui est propre à chaque jardinier. La bouillie bordelaise, le savon noir, le vinaigre blanc, les insecticides bio, bien que naturels, peuvent être toxiques sur le long terme.
Tenter d'éradiquer un ravageur risque d'introduire une faille dans la chaîne alimentaire, car, mis à part les humains, les prédateurs sont aussi des proies.

Bien souvent, identifier les causes plutôt que traiter
Au potager notamment, de nombreuses attaques nous font enrager, alors qu'elles ne mettent pas la plante en danger. Il faut les considérer comme des alertes, identifier la cause et corriger ou adapter nos méthodes de culture. Le plus rageant, le "cul-noir" de la tomate, une nécrose apicale, est très laid mais totalement bénin. Il révèle des arrosages trop abondants ou une carence en calcium. En cultivant plusieurs variétés de tomates, on peut également repérer les plus sensibles et les plus résistantes. Les fentes de croissance de la tomate sont dues aussi à un excès d'eau.
La fumagine est également sans grande conséquence autre qu'esthétique. Ce sont divers champignons qui correspondent à des piqûres d'insectes suceurs, pucerons, cochenilles, cicadelles. Ils se développent sur le miellat déposé par les insectes, qui excrètent le supplément de sucre qu'ils ont consommé. Ces champignons ne pénètrent pas dans la plante. La limitation des insectes responsables par pulvérisation d'eau, ou ramassage à la main, ou nettoyage, sans aucun traitement, suffit.
De nombreuses espèces de légumes qui noircissent  trahissent en réalité de mauvaises conditions de culture, à étudier au cas par cas. Souvent il s'agit d'un sol trop humide ou déséquilibré.

Tanaisie

Les associations de plantes
Il est possible d'exploiter les systèmes d'autodéfense ou d'attirance inventés par les plantes.
L'action répulsive
Parmi leurs tactiques d'autodéfense, certaines plantes émettent des composés volatils pour éloigner les parasites de leur environnement immédiat. Cultivées au milieu des rosiers, la lavande et la sauge limitent les invasions de pucerons sur les rosiers ; la menthe, la mélisse et la sariette repoussent d'autres pucerons. Les tagètes (oeillet d'inde, rose d'inde) protègent la tomate des nématodes parasites, éloignent les pucerons et aleurodes, la tanaisie repousse les fourmis, les pucerons, la mouche de la carotte et les acariens...
L'action attractive
Inversement, certaines plantes parasitées produisent des composés volatils attractifs pour les prédateurs du parasite agresseur. Ces odeurs sont identifiées à plusieurs mètres. Cela a été prouvé dans le cas du chou, infesté par la mouche du chou, Delia brassicae, elle-même parasitée par une petite guêpe, Trybiographa rapae. Les plants infestés par la mouche émettent des synomones, des signaux qui déclenchent des comportements bénéfiques à l'émetteur et au récepteur, le chou et la guêpe. L'activité de la mouche quant à elle développe des kairomones, des signaux qui déclenchent un comportement bénéfique uniquement au récepteur, dans notre cas la guêpe. L'action du jardinier est de rechercher pour chaque plante, ses parasites et la plante attractive pour le parasite de ce dernier. Les plus efficaces sont les mellifères, les aromatiques, le fenouil, mais il existe une multitude d'autres trios prédateur/ennemi du prédateur/plante attractive de l'ennemi.
Autre tactique : pour éloigner un ravageur, le jardinier peut cultiver à proximité une espèce encore plus attractive que celle à protéger. On connaît par exemple les rosiers plantés au bout des rangs de vigne car, encore plus sensibles à l'oïdium que la vigne, ils servent de signal d'alarme annonçant une attaque prochaine.

Les auxiliaires du jardinier et la diversité
Les attaques de ravageurs sont essentiellement menées par des insectes phytophages, les mangeurs de végétaux, dont la population explose à certaines périodes. Pour limiter leur population, on peut favoriser la présence des insectes entomophages, les mangeurs d'insectes, eux-mêmes régulés par les hérissons, les oiseaux, les discrets reptiles et les amphibiens. Tout est question de diversité et d'équilibre des populations. On sait que ce sont les monocultures qui sont les plus sensibles aux attaques de prédateurs, parasites et maladies diverses, en l'absence d'insectes et d'oiseaux régulateurs. La présence de haies, de végétation haute et basse, de bosquets, sont autant de niches écologiques à préserver ou mettre en place, dans son jardin ou dans un quartier de jardins, et, encore mieux, en connexion avec les niches écologiques naturelles, prairies, bocage, ruisseaux... 

Rouge-queue et sa cargaison de chenilles

Les oiseaux
Pour que les oiseaux puissent aider le jardinier, le jardin doit nourrir toute l'année les sédentaires et aux  moments opportuns les migrateurs. Aussi, les floraisons et fructifications doivent être décalées : mêler des arbustes à fleurs précoces et tardives, des arbustes à baies et fruits de printemps (le mahonia) et d'automne (le prunellier), voire d'hiver (le lierre). Ajouter des fleurs vivaces, qui fleurissent au printemps et en début d'été, et des annuelles, qui prennent le relais en plein été, en fleurissant et en produisant des graines comme des folles pour assurer leur reproduction avant l'hiver. Penser aux floraisons d'hiver, comme la bruyère, qui attire les premiers insectes au moindre rayon de soleil.
Les insectivores sont a priori les plus utiles, mais les oiseaux adaptant leur régime alimentaire en fonction des ressources disponibles, ils apprécient aussi les plantes à graines. Les mésanges par exemple, grandes consommatrices de pucerons, consomment aussi des graines en hiver quand les insectes se font rares.
Une végétation étagée, des haies et des nichoirs répondent à leurs besoins pour nidifier.

Les adventices, nos "mauvaises herbes"
C'est un domaine où le biocontrôle, autrement dit les désherbants naturels, atteignent leurs limites.
La solution consiste à comprendre pourquoi une mauvaise herbe pousse là, quelles sont les conditions qui ont favorisé sa germination : le pH du sol ? une pollution ? un sol trop compact ? un sol trop sec ou gorgé d'eau ? A partir de là, on a le choix entre l'accepter ou agir sur les conditions de son apparition. C'est ce que permet l'étude des plantes bio-indicatrices

Syrphe ceinturé

Les extraits phytosanitaires de plantes
Par leurs composés volatils, les végétaux ont développé des stratégies de défense contre leurs prédateurs. Purins, infusions, décoctions de plantes consistent à extraire ces molécules pour imiter, compléter ou renforcer ces stratégies. 
Certaines plantes contiennent des substances insecticides, comme l'ortie, le lierre, la tanaisie, la fougère aigle, qui luttent contre les pucerons, les aleurodes, les acariens...
D'autres contiennent des fongicides : la bardane, le rumex, la consoude, l'ail, le serpolet, l'origan..., qui agissent contre l'oïdium, le mildiou, la cloque du pêcher, la rouille, la tavelure.
Certaines enfin contiennent des biostimulants ou phytostimulants, tels le pissenlit, l'achillée millefeuille, la consoude... Ces substances renforcent les défenses naturelles des plantes contre les attaques des parasites.
Purin, infusion, décoction décrivent la façon d'extraire des plantes leurs substances actives. L'infusion est un bain de quelques minutes à 80° comme nos tisanes de grand-mère, la décoction consiste en un bain de 24 heures suivi d'une ébullition de vingt minutes, le purin, plus compliqué, passe par une fermentation de plusieurs jours, jusqu'à ce que la préparation ne mousse plus. 
Chaque préparation demande une documentation pointue : il faut bien connaître ce dont souffre la plante attaquée, la plante procurant la substance active, le mode d'extraction adapté et enfin la méthode, le dosage et le moment opportun de l'application.

En dernier recours, les produits de lutte biologique du commerce
Si et seulement si on n'a pas réussi à limiter une attaque massive, on peut se procurer tout un arsenal de produits utilisant le vivant. 
- Divers virus, champignons et bactéries comme le Bacille de Thuringe (et ses quatre sous-espèces) infectent les insectes (comme la chenille de la pyrale du buis) par leur tube digestif, avec l'inconvénient de ne pas être assez sélectif.
- Des phéromones attirent et piègent les insectes mâles et les empêchent de rencontrer les femelles.
- Des lâchers de mâles stériles saturent l'environnement et concurrencent les mâles en capacité de se reproduire.
- Des larves de syrphes, de coccinelles et d'autres insectes prédateurs sont disponibles pour consommer ou parasiter divers insectes phytophages.
Et j'en passe. Et je m'en passe.

 

 

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