Inviter les pollinisateurs

Publié le par Marie-Claire RAVE


Si l'abeille est la reine des pollinisatrices, car elle a industrialisé la récolte du pollen, de nombreux autres insectes participent volontairement ou involontairement à la pollinisation des plantes de nos jardins, qu'elles soient ornementales, fruitières ou potagères. Pour attirer les pollinisateurs, quelques notions préalables.

Sous les jupes des fleurs
La grande famille des angiospermes, les plantes à fleurs, prédomine chez les végétaux. Elles ne produisent pas uniquement des fleurs au sens du jardin décoratif, mais aussi des fleurs discrètes, presque invisibles, et des éléments que nous ne percevons pas comme des fleurs, celles du maïs par exemple. Néanmoins, toutes sont des structures qui rassemblent les organes sexuels de la plante.
Les pièces mâles, appelées couramment les étamines, forment l'androcée. Elles sont composées d'un filet surmonté d'une anthère. C'est là, sur les anthères, que sont produits les grains de pollen, la semence mâle.
Les pièces femelles, appelées couramment le pistil, forment le gynécée. Elles sont composées d'ovaires contenant les ovules, surmontés d'un style et d'un stigmate. 
Ces organes sexuels sont entourés par les pétales (la corolle), qui assure souvent la visibilité de la fleur, eux-mêmes entourés de sépales (le calice), qui protègent la fleur lorsqu'elle est fermée. 
Tout cet ensemble est porté par le réceptacle floral, un solide renflement d'où partent les différents éléments très fragiles de la fleur.
Le principe de la reproduction repose sur la rencontre d'un grain de pollen issu de l'étamine (mâle) et d'un stigmate (femelle) sur lequel il germe en formant un tube pollinique par lequel il va féconder un ovule. Au-delà de la simple fécondation, des mécanismes assurent le brassage génétique. 

Les plantes à fleurs sont de deux types, celles à fleurs bisexuées et celles à fleurs unisexuées.
- Les fleurs bisexuées, ou hermaphrodites, contiennent les organes mâles et femelle. L'autofécondation est possible, mais elle ne permet pas le brassage des gènes. Il existe donc le plus souvent des mécanismes qui favorisent l'échange de pollen entre fleurs, si possible éloignées les unes des autres dans l'espace. L'autofécondation reste quelquefois le plan B lorsque les échanges n'ont pas pu se produire.
- Les fleurs unisexuées ne contiennent que des organes mâles ou que des organes femelles. Lorsque fleurs mâles et fleurs femelle sont sur le même plant, on a affaire à une plante monoïque, comme la courgette. Lorsqu'elles sont sur des plants différents, on a affaire à une plante dioïque, comme le houx, qui nécessite pour fleurir la présence d'un arbuste mâle à proximité d'un arbuste femelle pour fructifier.

Le brassage des gènes implique donc un transport de pollen entre fleurs, transport majoritairement assuré par les insectes.

Abeille dans une fleur de courgette mâle

Première leçon au jardin :
- chez les plantes dioïques, un plant isolé ne fructifiera pas (houx, kiwi, argousier),
- chez les plantes monoïques (Cucurbitacées notamment), faute d'insectes pollinisateurs, vous devrez polliniser manuellement,
- au sein des plantes monoïques appartenant à la même espèce botanique, les insectes peuvent vous réserver des surprises l'année suivante en créant des hybridations naturelles, ce qui est fréquent chez les potirons !

Côté fleurs : les stratégies de séduction
Pour être repérées par les insectes, les plantes développent de multiples stratégies.
La plus évidente pour nous est la couleur. Pourtant, nous ne les percevons pas tout-à-fait comme les insectes. Nous remarquons la prédominance du jaune dans les corolles et le coeur des fleurs, particulièrement visibles de loin pour les insectes, en revanche nous ne voyons pas les ultraviolets auxquels ils sont sensibles. Certaines fleurs utilisent des guides floraux, sortes de nervures qui conduisent le pollinisateur vers le centre de la fleur, quelquefois invisibles pour nous car situés dans l'ultraviolet.
Les grandes fleurs, comme celles du nymphéa, jouent sur la dimension, d'autres jouent sur l'effet de groupe, comme les fleurs à ombelles (la carotte sauvage, le fenouil), d'autres sur la hauteur (la fleur de poireau), d'autres plus rares sur l'orientation du soleil, le champion étant le tournesol.
Les plantes à longue tige souple optent pour le mouvement, elles se balancent au moindre souffle pour se faire repérer.
Une autre astuce est la floraison décalée pour éviter la concurrence : floraison hâtive au printemps  (comme la jonquille qui attire les insectes par son tube en les protégeant du froid) ou tardive en automne (le lierre), ou tard le soir, voire la nuit comme le chèvrefeuille jaune clair et blanc, et de surcroît parfumé.
Car le parfum est aussi une tactique pour attirer les insectes. Quelquefois nous avons avec eux des goûts communs pour le floral ou le sucré, quelquefois des goûts opposés : certaines fleurs ont un parfum putride destiné à quelques mouches spécialisées. 

Abeille sur aster

Côté insectes : les stratégies de récolte et de transport
La pollinisation est donc, en résumé, le transport du pollen des étamines vers le pistil. Il y a quelques millions d'années, seul le vent transportait le pollen. Puis la rencontre entre l'insecte et la fleur s'est faite par hasard : les insectes se couvraient involontairement de pollen en visitant une fleur pour son nectar, et, alourdis par la charge, s'en débarrassaient un peu plus loin sur une autre fleur. Au fil de l'évolution des espèces, des adaptations successives de l'animal et du végétal ont fait des insectes le principal mode de transport du pollen. Le phénomène d'abord involontaire, passif, est devenu actif.
Les insectes sont par exemple équipés de jabots, de brosses ventrales comme les abeilles Mégachiles, ou de corbeilles à pollen poilues disposées sur les pattes, la corbicula, comme les abeilles mellifères. Encore plus active, la pollinisation vibratile (ou sonication) par certains bourdons : ils font vibrer la fleur pour que les anthères expulsent le pollen. La famille des Solanacées, qui comprend notamment les tomates, les aubergines, les poivrons, les piments et les pommes de terre, est fréquemment pollinisée selon cette technique par les bourdons.

Flambé (papillon) sur verveine de Buenos-Aires

Chez les papillons en revanche, la pollinisation est restée passive. Ils ne se nourrissent que du nectar, car ils ne digèrent pas le pollen. Ils sont munis d'une longue trompe qu'ils enroulent en spirale après usage, et qui leur permet d'accéder à tous les types de corolles, y compris aux tubes très profonds, sur lesquels ils n'ont pas de concurrence. Néanmoins leur corps est couvert de soies sur lesquelles adhère le pollen. Les papillons de nuit ont des soies plus fournies que les papillons diurnes et sont donc des pollinisateurs plus efficaces.

Côté fleurs : les récompenses offertes aux insectes
Pour obtenir les services des pollinisateurs, les fleurs ont développé des stratégies de récompense. Elles leur offrent bien sûr du pollen, riche en protéines, à consommer sur place où à emporter, ce que font abeilles et bourdons pour nourrir leurs larves.
Elles leur fournissent du nectar, liquide, composé essentiellement de sucres (glucose, fructose, saccharose), auxquels s'ajoutent des acides aminés, des enzymes, des lipides, des terpènes volatils, des antioxydants, des minéraux, etc. 
Elles leur procurent un microclimat tempéré en les logeant pour la nuit. Diverses formes de fleurs permettent de conserver un peu de chaleur, par exemple les tubes chez les narcisses et les boules chez le muguet, chaleur amplifiée par des couleurs internes réfléchissantes. Une autre stratégie est l'héliotropisme, qui consiste à suivre le mouvement du soleil, comme le tournesol ou le souci.
Elles sont aussi un terrain de chasse pour des insectes prédateurs, ou des lieux de rencontre pour la reproduction.
Les fleurs fournissent parfois, selon les cas, des huiles qui servent de ciment pour les nids ou de colle pour le transport du pollen, ou des résines et des gommes antibactériennes et antifongiques...

Cétoine dorée sur carotte sauvage

L'optimisation de la pollinisation : donner du pollen, mais pas trop
La production du pollen par les plantes est gourmande en ressources et en énergie. Elles doivent éviter de le gaspiller, et pour cela ont mis au point des filtres qui permettent de sélectionner les pollinisateurs les plus efficaces, ce qui conduit à adopter des formes particulières. Alors que certaines fleurs sont accessibles à tous, comme les formes sphériques ou plates, d'autres sont plus difficiles à pénétrer et sélectionnent ainsi certains butineurs, comme les fleurs en entonnoir ou en tube ou celles plus complexes des légumineuses. Elles peuvent imposer un vol stationnaire, un cheminement la tête en bas ou diverses acrobaties.
Le nectar également consomme de la ressource. Pour le distribuer sans que les insectes le gaspillent, l'éperon nectarifère chez la capucine ou l'ancolie permet de sélectionner uniquement les insectes à longue langue, abeilles ou bourdons, particulièrement efficaces.
Stratégie plus fine encore : il existe des fleurs dont la forme impose que le pollen ne se dépose pas sur les endroits du corps où l'insecte pourrait le manger. D'autres comme les astéracées, qui ont des inflorescences très ouvertes accueillant tout le monde, sélectionnent les butineurs par un autre moyen, la toxicité du nectar ou du pollen pour certaines espèces d'insectes. Et bien d'autres méthodes encore plus complexes.

Les stratégies de contournement des insectes
Tous ces obstacles au butinage du pollen et du nectar poussent certains insectes à percer le coffre-fort pour y voler le nectar. En présence d'un tube ou d'un éperon, les bourdons font un trou dans les corolles pour accéder au nectar, trou utilisé aussitôt après par les abeilles incapables de percer elles-mêmes. En réponse les plantes inventent un stratagème pour empêcher les trous dans la corolle. Le calice du silène enflé est tellement enflé qu'aucune langue n'est assez longue pour accéder au nectar même en le perçant.
A travers ces exemples, on constate que certains insectes sont généralistes, alors que d'autres se sont spécialisés dans le butinage d'un type de fleur, voire d'une seule fleur. Et réciproquement, certaines fleurs ont adapté leur morphologie pour n'accepter qu'un type de pollinisateur, voire un seul. 

Seconde leçon au jardin : il ne suffit pas de connaître ce qu'est la pollinisation, il faut aussi savoir quels pollinisateurs pour quelles plantes dès que l'on veut se spécialiser quelque peu dans un type de culture, comme les tomates et autres Solanacées ou les courges et autres Cucurbitacées. On pense toujours aux abeilles, alors qu'elles pollinisent très peu le châtaignier par exemple, ne s'intéressant vraiment qu'aux fleurs mâles.

Quant à la stratégie du jardinier : solutions pour attirer les pollinisateurs
Le jardinier a un objectif immédiat, la pollinisation de ses plants de légumes. Attentif à la nature et à ses bienfaits, il peut viser un second objectif, participer à la préservation de la biodiversité. 

La diversité
Même si certains pollinisateurs sont généralistes, d'autres se spécialisent dans une forme de fleur. Vous accueillerez une plus grande diversité  d'espèces pollinisatrices en multipliant les formes végétales : fleurs plates, fleurs en coupe, en tubes... 

Fauche tardive

Des espèces et variétés locales
Les plantes et les pollinisateurs ont co-évolué au cours de millions d'années, alors que l'importation d'espèces exotiques ne présente pas cet avantage. Une bonne base de plantes locales permet d'attirer des pollinisateurs spécialisés, comme d'ailleurs les oiseaux, les petits mammifères, les lézards, etc. C'est une règle incontournable pour tout jardin qui se respecte.

Des floraisons toute l'année
Pour avoir à sa disposition les bons pollinisateurs au bon moment, il faut les nourrir toute l'année, sinon ils iront chercher fortune ailleurs. Mélangez les espèces hâtives (jonquille et autres bulbes) et tardives (lierre, hellébore) pour "fixer" les populations d'insectes.

Une prairie fleurie
Une pelouse bien tondue et composée uniquement de gazon est particulièrement pauvre en insectes, préférez une fauche tardive ou des fauches partielles étalées dans le temps, ce qui permet aux fleurs des champs de s'installer, puis de renouveler et varier les floraisons.

Des haies, des grimpantes et de la végétation étagée
Enrichissez la palette des plantes avec les formes "gain de place" en remplaçant les clôtures par des haies qui seront aussi utiles aux oiseaux et en tirant parti des murs avec les grimpantes.

Agrégat expérimental pour abeilles terricoles à Lyon

Hôtels, gîtes et abris
On pense au traditionnel hôtel à insectes, simple ou fantaisiste. Toutefois, les insectes ne voisinent pas toujours facilement. Plus il est grand, plus la cohabitation est facile car les espèces peuvent s'éloigner un peu les unes de autres. Encore mieux, on peut favoriser la diversité en installant des gîtes spécialisés :
- paquets de tiges creuses pour les bourdons et abeilles solitaires,
- tas de tuiles ou "bibliothèque" d'ardoise accumulant la chaleur pour les coccinelles, signalé au passage car piètre pollinisateur mais utile contre les pucerons,
- arbres creux ou souches.

Bourdon sur tournesol

Et accessoirement pour les humains
Au potager ou, encore mieux, dans un savant mélange de plantes ornementales et potagères, pensez aux aromatiques pour la cuisine (thym, romarin, sauge, sarriette, origan), aux plantes-compagnes (capucine, hysope/chou, myosotis/framboisier, fenouil...) et aux engrais verts (bourrache, phacélie...), aux plantes mellifères (tilleul, lavande, robinier faux-acacia...) pour vos ruches ou celles des voisins, aux plantes médicinales (menthe, reine-des-prés, coriandre, camomille romaine...).
Au jardin d'ornement, préférez les variétés simples aux variétés doubles, avec des coeurs bien apparents.
Au verger, créez des bandes de friche fleurie. Dans une approche plus scientifique, le Ministère de l'Agriculture met à disposition des professionnels une liste de 200 plantes attractives pour les abeilles, précisant pour chaque plante, la période de floraison, l'intérêt (nectar ou pollen) et un indice de  confiance.

Et observez la vie...

Fleurs monoïques de maïs : inflorescence mâle et inflorescence femelle sur le même piedFleurs monoïques de maïs : inflorescence mâle et inflorescence femelle sur le même pied

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