Exotiques ou sauvageonnes, quelles plantes pour la faune

Publié le par Marie-Claire RAVE


Les graines ont toujours voyagé, à dos de mulet, d'oiseau, de vague ou de vent.
Les jardiniers ont toujours sélectionné, hybridé, et ces dernières décennies, génétiquement modifié.
Locales, exotiques, fabriquées, quelles sont les plantes les plus favorables à la faune ?

Finalement, qu'est-ce qu'une plante locale ? 
Jusqu'où faut-il remonter dans le temps pour savoir si une plante est locale (= indigène = autochtone) ou introduite ? Et jusqu'où aller dans l'espace géographique ? La circulation des végétaux, comme des autres êtres vivants, a toujours existé, elle se produit naturellement et constitue un moteur de l'évolution. L'introduction naturelle des plantes dans un nouveau territoire par le vent, les courants marins ou les animaux migrateurs, indépendante des activités humaines, est très lente. En revanche le rythme des introductions s'est considérablement accéléré avec l'expansion de l'espèce humaine et ses déplacements, puis avec l'agriculture. Les barrières biogéographiques, telles que les montagnes, les océans ou les limites climatiques, auparavant infranchissables par les plantes, sont désormais franchies grâce à l'Homme.
Le coquelicot et le châtaignier par exemple, qui nous semblent présents sur notre sol de toute éternité, ont été introduits par les humains.

Coquelicot, introduit vers - 7500

Les botanistes, par convention, considèrent comme introduites les espèces qui ont franchi les barrières géographiques par le vecteur humain, c'est-à-dire depuis le Néolithique. Quelques plantes présentes avant le Néolithique : fougères, graminées, bruyères, lierre, gui, pin sylvestre, bouleau, noisetier, hêtre, chêne, aulne, peuplier, érable, genévrier, tilleul...
Un second critère différencie les espèces introduites avant 1500, c'est-à-dire avant la découverte de l'Amérique et l'accélération des échanges (espèces archéophytes) et après 1500 (espèces néophytes).
Ainsi, les espèces messicoles, arrivées du Croissant Fertile au Proche-Orient avec les céréales il y a 7500 ans, sont des plantes introduites : bleuet, coquelicot, nielle des blés. A la période romaine, ont été introduits par exemple le noyer et le châtaignier. Ces espèces sont qualifiées d'archéophytes.
Depuis 1500, des milliers d'espèces ont été importées pour l'agriculture et le jardin d'ornement. Bien souvent elles ne sont plus perçues comme étrangères car elles se sont suffisamment intégrées dans les écosystèmes naturels, comme le mahonia ou l'hortensia grimpant couverts d'abeilles. Elles sont qualifiées de néophytes.

La co-évolution
Au fil de l'évolution se sont mis en place des processus de coopération entre les espèces animales et végétales.  Les plantes attirent les oiseaux par leurs fruits, qu'elles rendent de plus en plus beaux ou sucrés, en contrepartie les oiseaux qui les consomment vont digérer la pulpe mais pas les graines. Après un voyage le long de leur tube digestif, les graines ramollies vont être transportées loin de la plante-mère, le temps de la digestion, et relâchées délicatement enrobées d'engrais. Ce procédé gagnant-gagnant demande de nombreuses générations, c'est la coévolution coopérative.

Certaines paires d'espèces sont peu ou prou spécialisées, par exemple la grive et le gui. Le gui, plante hémi-parasite, puise l'eau et les éléments minéraux des arbres (hémi-parasite car il assure lui-même sa photosynthèse). Son cycle de vie se déroule sans terre, puisqu'il se développe entièrement sur l'arbre ; la graine a donc besoin de se coller sur les branches. C'est la grive draine qui va mener à bien cette opération. Elle mange les baies blanches, en réalité des fausses baies au sens botanique, et digère la pulpe mais ne digère ni les graines, ni la viscine, cette colle qui englobe les graines. Ainsi, elle va relâcher en vol ses fientes pleines de graines et de viscine, qui ont de fortes chances de tomber sur les branches et de s'y coller. D'autres passereaux y contribuent de diverses façons, comme la fauvette à tête noire, les sittelles et les mésanges.
Ainsi, grâce à la sélection naturelle, les plantes locales ont développé au cours des millénaires des stratégies dites mutualistes, favorables notamment aux oiseaux, que les plantes introduites récemment n'ont pas eu le temps de mettre au point.
Au jardin, o​​​​​n pourrait citer aussi de nombreux exemples de coopération fleurs/insectes pollinisateurs.

Jussie

Les plantes invasives
Une espèce introduite (= étrangère = exotique = exogène = allochtone) risque de devenir envahissante (= invasive, transposition de l'anglais),
. soit parce qu'elle est introduite précisément pour sa productivité importante, sa facilité de culture, sa capacité de germination élevée,
. soit parce qu'elle est importée sans ses compétitrices ou ses prédateurs naturels sur son sol d'origine.
Car si la coévolution peut être coopérative, elle peut aussi être compétitive, entre le parasite et son hôte, ou entre le prédateur et sa proie par exemple. Une plante arrivée sur un nouveau territoire sans les organismes spécialisés dans sa régulation peut proliférer. Toutefois, seule une plante exotique sur mille devient envahissante : sur mille plantes introduites sur une aire donnée, cent vont se retrouver dans le milieu naturel, dix se naturaliseront et une deviendra envahissante. Le risque est alors que l'espèce introduite ne "chasse" les espèces indigènes, mais selon certains scientifiques comme Jacques Tassin, écologue et chercheur au CIRAD, ce phénomène est bien moins grave que l'agriculture intensive et l'utilisation massive de pesticides. Néanmoins, dans un jardin, mieux vaut s'abstenir.
Quelques espèces exotiques envahissantes interdites en France (interdites d'introduction dans le milieu naturel ou totalement interdites sur le territoire national) : deux espèces de jussie, le myriophylle du Brésil, l'ailante glanduleux, la jacinthe d'eau, l'herbe aux perruches, le gunnera du Chili, la balsamine de l'Himalaya...

Erable de Freeman 'Autumn blaze', stérile

Les petits pièges des variétés horticoles
Que ce soit par sélection ou par hybridation, de nombreuses variétés créées par l'horticulture l'ont été sans se préoccuper de la faune. La duplicature par exemple est un phénomène génétique accidentel dans la nature qui est exploité pour produire de nouvelles variétés. Il consiste à "étoffer" la fleur en transformant les étamines en pétales surnuméraires pour des raisons esthétiques, mais ceux-ci n'ont aucun intérêt pour les pollinisateurs ni pour les oiseaux. En effet, pas de pollen, nectar inaccessible. C'est le cas par exemple du tournesol 'Ours en peluche' qui n'a pas une seule graine.
D'autres, comme l'érable de Freeman 'Autumn blaze' dont le feuillage automnal affiche un magnifique rose fuschia, sont des hybrides stériles, sans fruits pour les oiseaux. La viorne 'Boule de neige', arbuste qui fleurit très tôt au printemps de belles inflorescences blanches toutes rondes, est également stérile, contrairement à la moins étonnante viorne obier qui produit de belles baies rouges. A l'inverse, la création de variétés stériles peut devenir intéressante pour limiter l'expansion de plantes un peu invasives comme le buddleia. D'une part c'est un faux-ami qui attire les papillons sans les nourrir, d'autre part il colonise les talus, les bords de route, le ballast des voies ferrées, au détriment des plantes indigènes. Il est désormais possible d'acheter un buddleia stérile sans peur de l'invasion.
Pas question de se passer des variétés horticoles, roses, tulipes, dahlias... On peut offrir à la faune, en fond de jardin ou en haie, une bonne base de plantes poussant spontanément dans l'environnement proche, et mettre en valeur aux endroits stratégiques quelques variétés à fort intérêt esthétique.

Sources, informations complémentaires
Tableau diachronique de l'Holocène et du Tardiglaciaire dans les Alpes du Nord et leur piémont, Préhistoire et paléoenvironnement, Pierre Bintz, dans le Bulletin de la Société préhistorique française, tome 86/2, 1989, page 58. De nombreuses autres régions sont étudiées dans cette revue.
La grande invasion, Qui a peur des espèces invasives ? Jacques Tassin, éditions Odile Jacob, 2014
Arrêté du 14 février 2018 relatif à la prévention de l'introduction et de la propagation des espèces végétales exotiques envahissantes sur le territoire métropolitain

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