Aider les abeilles sauvages

Publié le par Marie-Claire RAVE

Abeille domestique et abeille noire sauvage

Les abeilles sauvages font partie de la biodiversité. Et elles jouent un rôle essentiel dans la pollinisation, rôle complémentaire de celui des abeilles domestiques. Or la concurrence de l'abeille domestique est rude ! La reconstitution d'un habitat et d'une source de nourriture est donc primordiale pour la conservation des espèces sauvages.

Abeille noire sauvage

Une abeille sauvage sociale : l'abeille noire
C'est l'abeille indigène d'Europe du Nord et de l'Ouest (Apis mellifera mellifera ou Apis mellifera mellifica) qui a été domestiquée depuis des millénaires pour la production de miel. Elle a été ensuite hybridée et réhybridée avec d'autres souches, jusqu'à obtenir l'abeille parfaite pour les apiculteurs : l'abeille Buckfast, du nom du monastère où un moine bénédictin et néanmoins généticien l'a mise au point vers 1950. L'objectif était alors une meilleure résistance à un parasite, la mite trachéale (Acarapis woodi), qui décimait au Royaume-Uni les colonies d'abeilles locales. L'abeille domestique est ainsi devenue un animal d'élevage à haut rendement et facile à travailler.
Aujourd'hui néanmoins, des apiculteurs amateurs éclairés conservent des ruches d'abeilles noires. Bien que moins productives, elles supportent mieux le froid, sont plus résistantes au parasite Varroa, leurs ouvrières et leur reine ont une longévité élevée, elles essaiment peu. Il en existe de nombreuses sous-variétés locales, qui se sont adaptées aux habitats et aux conditions climatiques de chaque région. Certaines de ces régions sont même devenues des conservatoires de "leur" abeille noire, l'île d'Ouessant en France ou la ville de Chimay en Belgique par exemple. Du fait de ses capacités d'adaptation et de sa rusticité, elle convient à une apiculture durable utilisant moins de ressources et d'énergie. Les défenseurs des abeilles noires locales militent également pour maintenir la diversité du patrimoine génétique de l'espèce, indispensable à sa survie.

Colonie d'abeilles noires dans un arbre creux

On trouve dans la nature des colonies d'abeilles noires sauvages ou férales, c'est-à-dire retournées à l'état sauvage. En ruche comme dans la nature, les colonies sont très stables car elles ont en permanence une reine en activité. Dès que la reine produit moins de phéromones, la colonie démarre l'élevage d'une nouvelle reine, on a donc temporairement deux reines, l'ancienne quittant la colonie dès que la jeune est opérationnelle.
Pour aider l'abeille noire sauvage, très généraliste, on peut planter des arbustes à floraison printanière, des fleurs annuelles et vivaces à floraison précoce et d'autres à floraison tardive. Elle a besoin d'arbres creux ou morts ou d'autres cavités naturelles. Elle ne fréquente pas les hôtels à insectes.

De nombreuses espèces d'abeilles solitaires
Alors que les abeilles sociales bien connues se caractérisent par une division et une spécialisation des rôles, dont une caste reproductrice, un chevauchement des générations et un soin collectif à la génération à naître, les abeilles solitaires ne vivent que quelques jours (pour les mâles) à quelques semaines (pour les femelles), assurent individuellement leur reproduction et meurent avant le développement complet de leur progéniture. C'est ainsi qu'elles construisent des nids constitués de cellules larvaires, des petites chambres qui contiennent un seul oeuf, pondu sur un "pain d'abeilles", mélange de nectar et de pollen qui nourrira la larve. Cette larve se développe jusqu'au printemps suivant. La nouvelle génération sort alors du nid pour une courte saison de vol à l'état adulte.
On a coutume de classer les abeilles solitaires, indépendamment du genre et de l'espèce, selon les matériaux de construction du nid.

Une terrassière : la collète du lierre

Les abeilles terrassières
ou abeilles terricoles

Elles creusent leur nid dans le sol sans y ajouter d'autre matériau. Une galerie principale d'un à deux mètres dessert des galeries périphériques d'une dizaine de centimètres qui débouchent sur une ou plusieurs cellules larvaires. La terre excavée permet de repérer le nid. Certaines sont grégaires, tout en travaillant pour elles-mêmes et non pour le groupe. Grégaires occasionnelles ou grégaires régulières, elles restent des abeilles solitaires, qui se regroupent lorsque les endroits propices au creusement d'un nid se font rares. On peut les aider en préservant des talus de sable ensoleillés et peu végétalisés.
Parmi les abeilles terricoles : les andrènes, les anthophores, les collètes, les eucères, les halictes.

Une charpentière : le xylocope violet

Les abeilles charpentières
Elles creusent leur nid dans du bois. La plus grosse est le xylocope violet, (Xylocopa violacea) qui mesure cinq centimètres d'envergure. Très commun, presque noir aux reflets métalliques bleu violacé et au vol vrombissant, on le remarque car les fleurs ployent lorsqu'il se pose dessus. Il creuse ses galeries dans du bois tendre ou vermoulu, ou investit les galeries des autres insectes foreurs. Lorsqu'on les voit visiter une charpente, c'est le signe d'un bois en mauvais état.
La plus petite, la cératine, creuse son nid dans les tiges à moelle comme la ronce, le framboisier, le rosier.

Les abeilles caulicoles
Elles ne creusent pas leur nid, elles aménagent des tiges creuses comme le bambou ou les tiges d'apiacées (fenouil, aneth...). Une variante : les abeilles rubicoles préfèrent les tiges à moelle, ce tissu spongieux et tendre qui constitue le cylindre central des tiges ou des branches de végétaux comme la ronce ou le sureau. D'autres opportunistes colonisent non seulement les tiges creuses mais aussi toutes sortes de trous qu'elles rencontrent dans les bâtiments (voir zoom sur les osmies), qu'elles cloisonnent et bouchent avec de l'argile, de la résine, des colles végétales, des fragments de feuilles ou de pétales. C'est pourquoi elles fréquentent autant les hôtels à insectes pourvu que les trous artificiels ou les fagots de tiges respectent les mensurations des larves. Les plus communes sont l'osmie rousse (Osmia bicornis ou Osmia rufa) et l'osmie cornue (Osmia cornuta). 

"Cigare" d'abeille tapissière

Les abeilles tapissières
ou coupeuses de feuilles et pétales

Les coupeuses de feuilles ne creusent pas de nid mais aménagent l'intérieur de quelque cavité disponible. Elles la recouvrent entièrement de morceaux de feuilles, qu'elles découpent minutieusement avec leurs mandibules équipées de denticules, comme avec des ciseaux. Elles construisent également les cellules larvaires de la taille et de la forme d'un petit dé à coudre dans le même matériau. Pour cela elles roulent les morceaux de feuilles en un cigare qu'elles transportent entre leurs pattes jusqu'à leur nid. Le fragment de feuille en se détendant va s'appliquer aux parois. On retrouve parfois au sol des morceaux découpés, ce qui signifie que le cigare s'est déroulé en route et a été abandonné. Photo Martine Bouillot

Travail de la mégachile du rosier

Chaque espèce s'est spécialisée dans une ou quelques plantes, par exemple la mégachile du rosier (Megachile centuncularis), dont on retrouve parfois les feuilles percées de trous ronds et réguliers comme par une perforatrice de bureau.
Les coupeuses de pétales creusent leur nid dans le sol. L'anthocopeEucera du coquelicot (Hoplitis papaveris) par exemple utilise les pétales de coquelicots, ou à défaut de mauves, de centaurées ou quelques autres fleurs ayant la même texture. Elle les découpe et les froisse en boulettes pour tapisser le nid.
Feuille ou pétale, le morceau est choisi en fonction de sa destination dans la cellule larvaire, plus rigide pour les parois, plus souple autour de la future larve.

Les abeilles cardeuses ou cotonnières
Les anthidies ne creusent pas de nid, comme les tapissières elles aménagent une cavité existante. Leur spécialité est l'épluchage de végétaux pour en récupérer des fibres, et le cardage grâce à leurs mandibules équipées de dents conçues à cet effet. Elles en font une pelote de bourre, d'où leur autre nom d'abeille tapissières. Comme les coupeuses, les cardeuses choisissent les fibres en fonction de leur destination, grossières pour les parois, souples pour le contact avec la future larve. Les plantes locales utilisées sont la molène bouillon-blanc, la vipérine, la ballote noire, l'épervière, la centaurée. On peut y ajouter une plante cultivée, l'épiaire de Byzance "oreille de lapin".

Nid étagé d'abeilles maçonnes dans la serre

Les abeilles maçonnes
Ce sont les seules à vraiment construire un nid, sur un support stable, avec un mélange de terre, de sable, de fin gravier et de poussière, humidifiés par leur salive et de l'eau. Le résultat résiste aux intempéries, mais par précaution ils sont souvent placés à l'abri, à l'intérieur ou à l'extérieur d'un bâtiment ou protégés par un rocher. En général la femelle construit des petites cellules larvaires individuelles semblables à des poteries avec une pâte fine puis noie le tout dans un mortier plus grossier. Le nid peut ressembler à un petit immeuble d'argile d'une dizaine d'appartements, allant jusqu'à sept ou huit centimètres. Cela les distingue des nids de guêpes maçonnes plus petits et plus fragiles. Les trajets parcourus pour collecter les matériaux et le pollen sont impressionnants ; les chercheurs les ont estimés à 500 km.

Les abeilles résinières
Elles construisent des nids à l'air libre, de la taille et de la forme d'un petit oeuf de poule, directement sur le sol. Elles utilisent toute substance végétale souple et collante susceptible de former une pâte résistante : résine des résineux, gomme s'écoulant sur les troncs des arbres fruitiers, latex des euphorbes notamment.  

Les abeilles hélicicoles
Elles récupèrent les coquilles d'escargot, qu'elles aménagent d'abord, puis , c'est leur spécialité, qu'elles camouflent dans la végétation. Le danger de la spécialisation est comme toujours de menacer l'espèce quand l'unique matériau n'est pas disponible. Pour les aider, on peut veiller à la préservation des escargots et rendre visibles les coquilles vides de toute taille au jardin, elles se chargeront de les cacher une fois aménagées. 

Ce classement contient une part d'arbitraire car certaines abeilles utilisent des techniques mixtes comme les hériades qui occupent des cavités existantes et les aménagent avec de la résine, ou l'anthidie bâtarde, terricole puis tapissière puis résinière pour un même nid.
 

Zoom sur les osmies

Pourquoi elles ? Toutes les abeilles ont une fonction dans la nature et nous n'avons pas à les discriminer. Les osmies sont tout simplement les plus faciles à attirer dans des nichoirs artificiels fabriqués à leur intention.

Osmie cornue femelle

L'osmie cornue (Osmia cornuta) et l'osmie rousse (Osmia bicornis ou Osmia rufa) sont deux abeilles caulicoles, appelées aussi de manière approximative abeilles maçonnes bien qu'elles ne construisent pas leur nid mais se contentent d'aménager l'intérieur de tiges creuses, ou d'anciennes galeries creusées par d'autres insectes foreurs. A défaut de galeries naturelles, elles installent leur nid dans des encadrements de fenêtres ou les trous d'évacuation de la vapeur d'eau dans les huisseries, les trous de serrure, les tuyaux d'arrosage, les divers petits espaces libres du matériel agricole, des tondeuses, les enjoliveurs des voitures...

Osmie rousse femelle

Les deux espèces ont un mode de vie similaire. Elles sont faciles à observer car elles investissent souvent l'environnement humain, même en ville. La première n'est pas dérangée par la présence humaine, la seconde un peu plus farouche. 
Elles ont été beaucoup étudiées pour leur pollinisation des arbres fruitiers, notamment les amandiers, qui fleurissent très tôt dans la saison. En effet, leur période de vol ne dure que quelques semaines, mais elle commence avant celle des abeilles domestiques : l'osmie cornue femelle est active en mars et avril, la rousse en avril, mai et début juin, et elles supportent des températures plus fraîches (à partir de 10-12° contre 12-14° pour l'abeille domestique).
Elles choisissent leur lieu de nidification en fonction de trois critères : la disponibilité en nectar, en pollen et en boue humide. Afin de surveiller le nid de près et de ne pas laisser trop longtemps un tunnel ouvert, elles travaillent très rapidement et limitent leur rayon d'action à 250 mètres. Dans la nature, elles récoltent le pollen grâce à leur brosse ventrale sur les chatons de saule, de noisetier, de chêne, et au verger sur les fruitiers, qui fleurissent successivement ; le nectar est récolté dans leur jabot sur les fleurs du moment. Pour les aider, et pour favoriser la pollinisation de vos arbres, vous pouvez installer des blocs de bois percés et des petits fagots de tiges creuses, de 4 à 12 mm de diamètre intérieur, avec une majorité de 7-8 mm,  en veillant à la présence de flaques et de talus présentant de l'argile nue.
Leur cycle de vie est à peu de choses près le même.
Au printemps, une fois la galerie trouvée, dans le sol ou dans des tiges creuses, la femelle cloisonne des cellules qui contiendront les futures larves. Elle construit d'abord une première cloison, puis l'ébauche d'une deuxième. Elle garnit cette cellule encore ouverte, au fond, d'un "pain d'abeille", mélange de nectar et de pollen, sur lequel elle pond un oeuf. Ensuite seulement elle termine la cloison ébauchée avant de passer à la suivante. Les cloisons sont légèrement convexes à l'avant de la cellule, ce qui permettra à la jeune abeille de connaître le côté à perforer pour prendre son envol, ceci pour une raison inconnue, probablement inscrite dans le patrimoine génétique.  Au bout d'une quinzaine de cellules (un peu plus chez l'osmie cornue, un peu moins chez l'osmie rousse) elle maçonne un bouchon plus épais.  Elle construit ainsi plusieurs nids pendant deux mois environ.

B : cellule larvaire, T : cloison , E : oeuf, P : pollen (montage du malicieux biologiste David Werner)

L'oeuf éclot une dizaine de jours après la ponte.
La larve se développe en consommant le pain d'abeille, passant par quatre stades larvaires, le quatrième est atteint au bout 20 à 30 jours. Quand la réserve de nourriture est épuisée, la larve produit de la soie pour s'entourer d'un cocon dans lequel elle reste immobile en attendant la nymphose. Le cocon d'abord transparent et mou, puis rose, finit par sécher et noircir. Chez l'osmie cornue, le cocon est couvert d'un feutrage blanc.
Fin juillet, se produit la mue nymphale. La nymphe d'abord blanche se pigmente peu à peu. 
Avant l'hiver se produit la naissance de l'imago, la forme adulte.
Ainsi entourée de son cocon, elle se met en hibernation.
Au printemps elle acquiert sa forme adulte, mord et casse la cloison, puis prend son envol.
Les mâles, issus d'oeufs non fécondés placés dans les cellules les plus proches de la sortie, prennent leur envol les premiers, deux semaines avant les femelles. Ils volent autour des nids guettant la sortie des femelles en vue de la reproduction (on peut les identifier grâce à la touffe de poils blancs ou jaune clair qu'ils ont sur le front, alors qu'elle est sombre chez les femelles).
Et un nouveau cycle commence.

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