Sauver un arbre fourchu éclaté par la tempête
Quelques semaines après une tempête, nous avons découvert une fissure dans le tronc de notre févier d'Amérique (Gleditsia triacanthos). Il a vraisemblablement l'âge de la maison, cinquante ans. Il avait un tronc fourchu, les deux parties étant de diamètre et hauteur identiques. Avec une charge égale des deux côtés et une fourche très ancienne, située au quart de la hauteur de ce févier, la fissure ne pouvait que se poursuivre irrémédiablement jusqu'à la mort de l'arbre.
Une précédente tempête avait éclaté en deux un cèdre du même âge, à la différence près que la fourche se situait entre le tronc et une très grosse branche maîtresse correctement insérée dans ce tronc, ce que l'arboriculteur peut lire dans les fibres du bois. Cette fois la branche était au sol avec un bon tiers de la ramure. Le cèdre avait pu être sauvé par l'arboriculteur grâce à des techniques appropriées à ce cas précis :
. nettoyage de la plaie qui s'étendait sur trois mètres, élimination avec des outils tranchants des échardes et impuretés diverses,
. badigeonnage de la surface devenue lisse au mastic cicatrisant,
. épointage important des branches sur le côté resté sur pied,
. arrosage massif en profondeur.
Cinq ans après il reste bien vivant, debout quoique dissymétrique, et il poursuit son développement. Seules les personnes qui connaissaient le cèdre avant la tempête voient la différence, les autres lui trouvent un petit air d'arbre de bord de mer battu par les vents.
Première décision : faut-il tenter un sauvetage ou abattre l'arbre ?
Revenons à notre févier d'Amérique. La structure de ce tronc double, deux "axes co-dominants" disent les spécialistes, ne correspond pas au développement normal de cette espèce. Elle est probablement accidentelle et assez ancienne et n'est pas aussi solide qu'une fourche participant à la formation habituelle de la ramure. Avec cette fente, il n'y aura pas de réparation spontanée, le risque d'éclatement et de chute est grand, on ne peut laisser en l'état. Selon l'arboriculteur, à nous de décider : pour éviter l'abattage immédiat de l'arbre, une intervention est possible, mais elle ne sera pas définitive, la fissure est sans doute plus profonde au coeur de l'arbre qu'il n'y paraît à la surface de l'écorce.
Nous tentons tout de même le sauvetage.
Deuxième décision : quelle technique ?
Le cerclage, ou toute autre intervention sur la périphérie des deux troncs, empêcherait l'activité du cambium, cette couche de cellules située juste sous l'écorce qui assure le développement de l'arbre.
L'arboriculteur nous conseille un haubanage, qui consiste à percer les troncs à quelques mètres au-dessus de la fourche (environ deux tiers à trois quarts de la hauteur entre la fourche et le sommet de l'arbre) et d'y insérer une tige filetée. Elle sera bloquée par deux boulons et l'écorce sera protégée par deux plaques de métal. Tous les éléments du haubanage doivent être en rapport avec la taille de l'arbre, selon des normes précises connues de l'arboriculteur. La plaie cicatrisera autour de ce corps étranger.
Pour resserrer les deux parties de la fourche avant et pendant l'opération, une sangle d'arrimage à cliquet est placée temporairement quelques mètres plus haut. Avant l'intervention, elle doit être resserrée progressivement, quelques semaines après elle sera enlevée.
Troisième décision : mastic à cicatriser ou plaie à l'air libre ?
Les mastics et autres pâtes, goudron de Norvège, mastic traditionnel Pelton, pâtes maison, sont actuellement remises en question.
Les avantages
Le mastic est censé empêcher l'installation de spores de champignons pathogènes, d'insectes ou d'acariens dans les parties désormais dépourvues d'écorce, et de faciliter la cicatrisation. Il limite la capacité des insectes qui pondent dans le bois à le percer pour déposer leurs oeufs, comme une écorce de secours.
Les inconvénients
Aujourd'hui on considère que c'est la qualité de la réparation qui compte, désinfection des outils, rapidité de l'intervention, suppression des fibres de bois arrachées... et que l'arbre bien préparé a la capacité de se réparer seul. En outre, la plaie n'étant pas stérile, le pansement risque de protéger et réactiver les micoorganismes pathogènes présents, et, n'étant pas hermétique à l'air et à l'eau, il ménage des portes d'entrée pour les maladies.
J'ai l'impression qu'un autre élément entre en jeu lors du choix. L'arboriculteur (ou son client) préfère faire que ne rien faire, car on lui reprochera (ou on se reprochera) plutôt une négligence qu'un excès de zèle. Dans notre affaire, le fond de la plaie, bien sec après des semaines de sécheresse, est donc rempli de mastic traditionnel, sans grande conviction mais l'esprit tranquille.
Quel mastic ?
Pour terminer rapidement l'opération, le professionnel a utilisé le mastic du commerce, le mastic Pelton (40 % de résine, 15 % d'huile végétale, 10 % de cire d'abeille et 1 à 5 %% d'essence de térébenthine on peut supposer que de l'eau complète le tout).
Le goudron de Norvège ou goudron scandinave, ou encore goudron végétal est une recette très ancienne issue de la carbonisation du pin, il contient donc une forte concentration en résine. Attention, il attire les sangliers.
La cire d'abeille, réchauffée dans les mains, est plus pâteuse. Elle a l'avantage d'être locale si on connaît un apiculteur tout près.
Les mastics maison sont aussi plébiscités par les jardiniers chevronnés pour les soins des arbres, Rustica cite celui de Jean-Yves Maignen, jardinier de l'abbaye de Valsaintes dans les Hautes-Alpes : une pâte faite d'argile, blanche de préférence, et d'eau, à laquelle il incorpore des huiles essentielles (HE). Selon lui l'HE de gaulthérie (Gaultheria procumbens) stimule la formation de nouveaux tissus et facilite ainsi la fermeture de la plaie, les HE de sarriette, de clou de girofle et de thym ajoutent leurs propriétés antifongiques bloquant le développement des champignons, l'HE de genévrier agit comme un répulsif contre les insectes.
Reste à surveiller l'évolution de l'arbre en lien avec l'arboriculteur.
Quatrième décison : pour l'avenir, faut-il élaguer nos arbres pour empêcher la formation d'une fourche ?
Les nouvelles connaissances sur les fourches (voir Sources) remettent en question les pratiques actuelles en matière d'élagage. Les changements ne sont pas flagrants lorsque l'objectif est d'ordre esthétique et concerne la taille de formation des jeunes arbres. En revanche, en matière de risque d'éclatement, il ne faut pas se précipiter pour élaguer. La fragilité d'une fourche dépend de nombreux facteurs : l'espèce, l'âge de l'arbre, le type de fourche... A défaut de se former, mieux vaut faire confiance à un professionnel pour évaluer le risque et décider de l'utilité d'un élagage.
En résumé :
. sur une fourche maîtresse, élément de l'architecture de l'arbre, la formation de la fourche est un processus normal, lent et progressif, elle est donc solide, la taille est facultative, elle se justifie lorsque l'on souhaite que l'arbre se développe en hauteur ;
. sur une fourche dite récurrente, formation normale de certaines espèces comme la famille des Fabacées, dont fait partie notre févier d'Amérique, la taille est inutile, sauf si une fourche est trop basse par rapport au tronc souhaité ;
. sur une fourche d'attente, branche latérale qui se développe de façon inhabituelle pour chercher la lumière, la taille est néfaste, attendre ou agir pour améliorer le milieu ;
. sur une fourche accidentelle, l'analyse est plus complexe, la taille sera différente s'il y a eu soudure ou non entre deux arbres constituant un haubanage naturel, ou encore s'il y a eu rupture d'un tel haubanage.
En bref, c'est dans ce dernier cas de figure qu'une évaluation du risque par un professionnel est indispensable.
Sources, informations complémentaires
Conseils et pratiques de notre arboriculteur
Démystifier les fourches, vices et vertus des fourches en arboriculture, Christophe Drénou, David Restrepo et Duncan Slater, traduit de l’anglais par Olivier Dambezat & Philippe Trouillet, dans la Lettre de l'Arboriculture n° 101, 2021
Voir aussi
Les trognes
L'élagage d'un saule têtard
Le lierre néfaste aux arbres ? Les conseils d'un expert forestier
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