Arrêter le nourrissage des oiseaux au printemps

Publié le par Marie-Claire RAVE


Il n'y a pas de réponse simple à un problème complexe. Les diverses études menées sur le nourrissage au printemps aboutissent à des conclusions contradictoires. Une position radicale conduit à ne jamais nourrir les oiseaux, ni en été ni en hiver. Une autre plus nuancée réserve le nourrissage aux périodes de grand froid, plus particulièrement le sol est gelé. D'autres proposent de compenser la perte d'habitats et de nourriture naturelle par un nourrissage régulier tout l'hiver. Si l'on opte pour le nourrissage, quand faut-il arrêter ?

Un principe de base : ne pas cesser brutalement
Vous avez fait le choix de nourrir les oiseaux l'hiver. Ce choix vous engage pour toute la saison, car un arrêt brutal provoquerait un "choc alimentaire". De la même façon, il est préconisé de diminuer progressivement la nourriture au printemps, sur une semaine ou une quinzaine de jours, surtout si les conditions atmosphériques sont mauvaises. En cas de météo capricieuse, vous devrez ajuster les volumes au jour le jour.

Pinsons du Nord

Au printemps, les besoins augmentent
Au mois de mars, on voit souvent des afflux massifs d'oiseaux inhabituels aux mangeoires, des oiseaux que l'on ne voit pas de novembre à février : gros-becs, pinsons du Nord, tarins des aulnes, parce que les ressources sont épuisées, parce que les oiseaux qui ont hiverné au sud remontent vers leurs sites de nidification, et que les espèces sédentaires commencent à nicher. Les migrations demandent une énergie considérable alors même que des vagues de froid arrivent encore sur l'Europe.
En avril, pour les oiseaux sédentaires, mésanges, merles, grives, pinsons des arbres, le nourrissage des jeunes commence. L'alternance de périodes douces qui poussent à la nidification et de périodes glaciales qui augmentent les besoins en nourriture se téléscopent. Quant aux oiseaux migrateurs, le froid peut encore les bloquer le long de leurs couloirs de migration.
S'installe alors u​​​​​ne concurrence alimentaire entre sédentaires et migrateurs.

Mars : afflux massif de gros-becs, tarins des aulnes et pinsons du Nord

... mais les ressources naturelles tardent à arriver
Les ressources alimentaires ont été réduites depuis quelques décennies par l'arrachage des haies, la monoculture, l'emprise grandissante des villes et villages. Cela accentue la disette normale au printemps. Les granivores en particulier (pinsons, moineaux, bouvreuils, chardonnerets, verdiers...) sont fortement impactés, surtout sur la première quinzaine d'avril, car les graines se font attendre plus longtemps que les insectes. 
C'est pourquoi certains scientifiques pensent qu'il faut poursuivre le nourrissage des oiseaux pendant la période de reproduction, c'est-à-dire jusqu'au mois de juin, surtout lorsqu'une période de froid inattendue s'abat sur l'Europe. Les ressources en vers et chenille, principale nourriture des oisillons des insectivores, viennent alors à manquer.
Si on choisit d'arrêter le nourrissage à la fin du mois de mars, on peut être amené, pendant une vague de froid brutale en avril, à le reprendre. Vous remarquerez que des oiseaux éclaireurs, souvent des mésanges, avertiront les autres oiseaux du retour de mangeoires bien pleines. Lors de vos achats de graines, il est bon de prévoir large pour parer à cette éventualité alors que les magasins ont épuisé leur stock.

Rouge-gorge

Trop de nourriture au printemps peut nuire à la bonne santé des oiseaux
Avec le retour de la douceur au printemps, les maladies virales ou bactériennes se transmettent plus facilement et plus rapidement. Le risque de contagion augmente. L'hygiène des mangeoires est plus que jamais nécessaire. Voir les articles Maladies des oiseaux, prévention et Maladies des pattes des oiseaux.

Mésange charbonnière

Et aussi à leur reproduction
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, le nourrissage des oiseaux des jardins pendant la période de nidification, en Europe occidentale en février et mars, peut avoir des effets négatifs sur la reproduction. Les études montrent par exemple :
- que les mâles nourris aux mangeoires démarrent leur chant nuptial plus tard les matin que les autres, ce qui génère une perte d'opportunités pour la reproduction,
- que les parents nourrissant leurs petits avec des aliments gras, comme les cacahuètes et les boules de graisse, compromettent leur survie,
- que, pour des raisons pas encore élucidées, les parents nourris aux mangeoires produisent des nichées un peu moins nombreuses. 
L'université de Birmingham, notamment (voir Sources), a mené une étude sur trois ans et 288 nichoirs de mésanges bleues et mésanges charbonnières. Trois secteurs de 96 nichoirs ont été définis, deux bénéficiaient d'un apport de nourriture du commerce (50 % d'arachides et 50 % de suif de boeuf) et le troisième, le groupe test, n'en bénéficiait pas. Le groupe test "tournait" chaque année, pour que chaque groupe soit traité de la même façon sur l'ensemble des trois ans.
Le docteur Thimoty Harrison, ornithologue au British Trust for Ornithology (BTO) qui pilotait le projet, a obtenu des résultats tout-à-fait inattendus : "Nous nous attendions à ce que les oiseaux supplémentés pondent plus d'oeufs et aient des couvées plus grandes, mais c'est le contraire qui s'est produit". Les nichées des oiseaux nourris sont en moyenne réduites d'un "demi-poussin".
Il affirme aussi clairement que notre connaissance des impacts de l'alimentation artificielle est très limitée. C'est la première fois qu'une étude de cette ampleur prouve l'effet négatif de la supplémentation, et les causes en sont encore inconnues (changement de régime alimentaire à une étape essentielle de la reproduction ? excès de temps passé à se nourrir au détriment du comportement nuptial ?...)
Le tournesol donné en excès, quant à lui, perturbe la reproduction des verdiers car il entraîne des anomalies chez leurs spermatozoïdes.

Gros-bec casse-noyaux et tarin des aulnes

Observer et définir sa propre stratégie 
Faute de connaissances solides du milieu scientifique, et en croisant les diverses sources, les éléments suivants nous aident à décider du moment de l'arrêt de la nourriture.
- Diminuer la quantité lorsqu'on constate le départ des oiseaux migrateurs (gros-becs, pinsons du Nord), en général fin mars.
- Diminuer progressivement les quantités sur la première semaine d'avril, ou même la première quinzaine par temps froid.
- Supprimer en premier la nourriture grasse et la remplacer par des graines de tournesol, déjà très riches, pour les granivores (les oiseaux avec un bec fort comme les verdiers et les chardonnerets) et des vers de farine pour les insectivores (les oiseaux à bec fin comme les mésanges, les sittelles, les troglodytes...)
- Reprendre le nourrissage si une vague de froid s'abat sur le pays en avril, voire en mai.
- Pour le sud de la France, adapter les dates ci-dessus, qui conviennent à la France, la Suisse et la Belgique.

Sources, informations complémentaires
L'étude du BTO, en partenariat avec les universités de Birmingham et d'Exeter entre autres, pilotée par le Dr Thimoty Harrison, Bird feeding : Concerns raised over benefit to UK birds, relayée le 27 mai 2010 par BBC Earth News

Publié dans Oiseaux

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C
Bonjour, votre article est bien intéressant comme toujours. Personnellement, c'est toujours un crève-cœur d'arrêter l'alimentation des oiseaux quand vient le printemps car tous les matins je déjeune devant leurs mangeoires et je me régale. Mais je vais bientôt changer ma chaise de place pour pouvoir regarder les nichoirs et c'est toujours autant de plaisir! Belle journée à vous
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M
Oui la vie autour des nichoirs est passionnante : rénovation de l’intérieur, nourrissage des oisillons, évacuation des sacs fécaux, envol… le bonheur !