De la chenille au papillon, le mystère de la chrysalide
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Au cours du cycle de vie du papillon, il est une étape qui défie l'imagination : l'intense activité qui se déroule à l'intérieur de la chrysalide, sous son bouclier immobile.
La chenille commence par s'auto-digérer
Après plusieurs stades de croissance qui se terminent chaque fois par l'éjection de la peau précédente, la chenille se débarrasse de sa dernière peau. Elle laisse alors apparaître la chrysalide, un nouvel épiderme d'aspect très différent, encore tout tendre, qui va durcir pour former un solide bouclier. Certaines espèces comme le bombyx du mûrier (Bombyx mori) tissent une protection supplémentaire, le cocon. A l'intérieur de la chrysalide, la chenille poursuit sa transformation. Elle sécrète des enzymes digestives qui dissolvent les tissus contenus dans le nouvel épiderme et les réduisent à l'état de "soupe" informe semi-liquide. On peut dire que la chenille se digère elle-même.
Un sac de soupe nutritive
Les quelques cellules survivant au processus de digestion se nourrissent en absorbant les protéines de cette chenille liquéfiée. Elles utilisent l'énergie stockée dans la bouillie de chenille pour se multiplier et former de nouveaux organes, des organes de papillon. On pourrait croire qu'il s'agit d'un autre animal totalement nouveau. Toutefois, les analyses génétiques confirment qu'il s'agit bien du même ADN, donc d'un même animal au corps nouveau totalement remanié.
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Un stock de cellules souches qui attend son heure
Les seuls éléments qui restent intacts dans ce milieu nourricier sont les disques imaginaux : ce sont des amas de cellules souches, contenus des petits sacs à l'aspect de bourgeons situés sous l'épiderme, qui existaient déjà dans l'oeuf initial. Mais malgré leur nature de cellules souches, elles sont prédéterminées, certaines sont programmées pour former les yeux, d'autres les pattes, d'autres les ailes, la langue et tous les autres organes.
Cette transformation est enclenchée par l'effet de deux hormones, d'une part le taux d'hormone juvénile chute, ce qui a pour effet de faire disparaître tous les caractères larvaires, d'autre part l'ecdysone contrôle la mue vers l'état de nymphe. Photo : une chrysalide de papillon petite tortue (Aglais urticae) avec le résidu de son ancienne peau.
Une étude de l'Université de Manchester a permis, grâce à la tomodensitométrie à rayons X haute résolution, une technologie qui n'avait jamais été utilisée dans ce domaine, de montrer les modifications d'une chenille à l'intérieur de sa chrysalide, une Belle-Dame, Vanessa cardui. C'est la première fois que l'on pouvait observer toutes les étapes, jour par jour, à l'intérieur d'un même individu, une chenille vivante capable de survivre à l'opération. Cette technologie non-destructrice ouvre de nouvelles voies à la connaissance des insectes.
Tristan Lowe, Russell J. Garwood, Thomas J. Simonsen, Robert S. Bradley and Philip J. 06 July 2013, doi.org/10.1098/rsif.2013.0304
On voit en bleu le système trachéal, assurant la respiration, qui se ramifie fortement, en rouge l'intestin moyen, en orange les tubules de Malpighi, l'organe excréteur évacuant les déchets vers l'extérieur, en vert transparent le lumen (la "lumière" au sens de creux dans un organe), un vide qui se forme entre le thorax et l'abdomen, et en beige transparent la surface extérieure.
Et le cerveau ?
Côté cerveau, il n'y a pas destruction totale puis formation d'un nouvel organe, mais plutôt un profond remaniement de l'existant. Trois types de modification se déroulent lors du passage de la vie larvaire à la vie adulte :
- certains neurones meurent,
- d'autres modifient leur forme, leurs connexions et leurs propriétés, pour entrer en jeu dans des fonctions qui n'existaient pas chez la chenille, comme le contrôle des ailes,
- d'autres enfin sont maintenus à l'état embryonnaire, les neuroblastes, en attendant la métamorphose finale en papillon.
Malgré ce triple remaniement, le cerveau semble conserver des souvenirs de sa vie larvaire. L'imago, le papillon adulte, revient ainsi pondre sur la plante-hôte de son espèce (l'ortie pour le paon du jour, Aglais io, par exemple), sans que l'on sache aujourd'hui s'il s'agit de mémoire ou d'un processus sensoriel, visuel ou olfactif.
La soupe de chenille : petit historique des connaissances |
1949 |
Sources, informations complémentaires
Le time-lapse de la chrysalide : Metamorphosis revealed : time-lapse three-dimensional imaging inside a living chrysalis, Tristan Lowe, Russell J. Garwood, Thomas J. Simonsen, Robert S. Bradley and Philip J. Witherspublié par le Journal of the Royal Society Interface le 6 juillet 2013consulté le 27 septembre 2021, https://doi.org/10.1098/rsif.2013.0304
Un article de François Graf, La Métamorphose du machaon, Revue scientifique Bourgogne Nature 16-2012, illustré de nombreuses photos (15 pages)
Un schéma intéressant dans les archives de Science et Vie : Comment les cellules de la chenille se transforment-elles en cellules de papillon ?
Les interventions de Claude Lazzari, chercheur à l'Institut de recherche sur la biologie de l'insecte du CNRS et de l'Université de Tours
Voir aussi l'article Le cycle de vie du papillon