Un blob dans mon jardin !
Après les orages de ces derniers jours, j'ai découvert sous les chênes qui bordent le jardin cette chose jaune qui se déplaçait de plusieurs centimètres par jour en se modifiant radicalement. De fil en aiguille en parcourant le bois voisin j'en ai découvert un autre, puis deux, puis quatre. Et pourtant inconnu au bataillon des champignons !
Ni animal, ni végétal, ni champignon, qui est-il ?
Il s'agit d'un organisme unicellulaire à plusieurs noyaux. Une seule cellule donc, mais géante. Avec les recherches récentes et les révélations de l'ADN, les limites entre animal et végétal deviennent floues et la classification phylogénique bouge pour refléter nos nouvelles connaissances. Auparavant classé dans les champignons, cet organisme est accueilli dans le règne des Amoebozoaires (comme les amibes) et dans la classe des Myxomycètes.
La spécialiste des myxomycètes, Audrey Dussutour, chercheuse au CNRS, travaille sur une espèce en particulier : Physarum polycephalum. Elle est aussi cinéphile, et pour gagner du temps, elle a donné à cette famille le nom de blob, nom inspiré du plus mauvais film de Steve Mac Queen, The Blob, où un alien informe et visqueux double de volume tous les jours et mange tout sur son passage. Le terme a ensuite été adopté par la communauté scientifique.
Portrait d'un blob
"Mon blob" dit Audrey Dussutour, est Physarum polycephalum, mais il en existe beaucoup d'autres, de toutes formes et de toutes couleurs. Une autre espèce, découverte chez moi est Fuligo septica, ou crachat de coucou, ou fleur de tan. Car le tan est un broyat d'écorce de chêne qui servait à tanner le cuir, où l'on voyait souvent apparaître Fuligo septica, les myxomycètes aimant particulièrement le bois humide et si possible pourri. Ce blob est jaune vif dans son stade jeune, puis il vire au gris-marron-rose-verdâtre en vieillissant. En anglais, son petit nom est dog vomit, ce qui vous donne une idée de sa consistance et de sa couleur, si vous avez un chien.
C'est une cellule géante qui découvre son environnement en lançant des filaments, les pseudopodes, à la recherche de nourriture et en laissant un mucus blanc derrière lui. Avec une seule cellule, il doit se nourrir, respirer, se reproduire et se déplacer. S'il trouve de quoi manger, il peut doubler de volume tous les jours. Dans la nature, il a beaucoup d'ennemis. En laboratoire, le blob Physarum polycephalum est quasi immortel. Il peut atteindre 10 m² et entrer en dormance lorsque les conditions atmosphériques ne lui conviennent plus. Et quand il renaît, il renaît plus jeune !
Il est parcouru d'un réseau de vaisseaux qui palpitent et poussent sa masse pour la faire avancer. Les photos du blob Fuligo septica a et b sont prises à 24 heures d'intervalle : le blob s'est détaché de la brindille et a avancé de 8 centimètres. Cinq jours plus tard il avait colonisé la mousse aux alentours avant de rétrécir et devenir noir au retour du grand soleil.
Son cycle de vie
On le découvre dans les bois lorsqu'il se trouve dans son stade de plasmode, qui correspond à son adolescence. Quand il ne trouve plus rien à manger, on a l'impression qu'il disparaît totalement, en réalité il arrête de grandir et entre dans sa phase de reproduction : il se transforme tout entier en spores, de petites boules noires qui seront disséminées par le vent et les animaux. Dès qu'elles se trouvent dans un milieu humide, elles s'ouvrent et libèrent une petite cellule flagellée qui part à la recherche du sexe opposé. Alors que chez l'animal il existe deux sexes, chez le blob il en existe 720, ce qui multiplie ses chances de croiser un autre sexe. La fusion de deux gamètes forme alors un oeuf et le cycle recommence.
Une intelligence sans cerveau
Le premier scientifique ayant travaillé sur le blob Physarum polycephalum est un Japonais, Toshiyuki Nakagaki, qui dans les années 2000 a découvert ses propriétés par une série d'expériences espiègles, pourtant parfaitement sérieuses et reconnues par la communauté scientifique :
- le blob est capable de sortir d'un labyrinthe par le chemin le plus court,
- il est capable de créer des réseaux plus efficaces que le métro de Tokyo,
- il est capable d'anticipation (si on lui envoie du froid toutes les 30 minutes, il cesse sa croissance à 29'30" pour éviter le coup de froid).
Pour découvrir tout cela en une heure, il suffit de suivre une conférence d'Audrey Dussutour (voir Sources).
Nouvelles recherches sur le blob
Au CNRS, Audrey Dussutour poursuit les recherches en l'orientant sur la nutrition du blob, sa navigation sur une surface, sa technique de chasse, son comportement exploratoire, son comportement entre congénères, et surtout ses capacités d'apprentissage. Jusqu'ici on pensait qu'une cellule n'était pas capable d'apprendre.
Or une longue série d'expériences prouve que le blob est capable d'apprendre à reconnaître une substance, par exemple le sel ou la caféine, et de transmettre sa nouvelle connaissance à un autre blob.
Pour l'instant on en est à la recherche fondamentale, les applications possibles n'existent pas encore. Il est permis d'espérer une connaissance du fonctionnement de la vascularisation des tumeurs, de la cognition cellulaire comme on l'a montré avec les plantes, de la production par la cellule d'antibiotiques et de fongicides, et des solutions pour la lutte contre le vieillissement.
Photo CNRS
Sources, informations complémentaires
Une conférence d'Audrey Dussutour du 18 septembre 2018 à Rennes (la conférence commence réellement à 11'40'')
et son livre Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander , édition J'ai lu, 2019
Les Myxomycètes, un monde à part, un numéro de la revue Bourgogne Nature, (devenue Bourgogne-Franche-Comté Nature) 7-2008.