Pelouse et prairie naturelle
La pelouse rase et bien verte toute l'année a peu d'intérêt écologique. Elle est très consommatrice d'eau et d'énergie pour la tonte, et c'est un milieu pauvre pour la faune. A l'inverse, une prairie totalement sauvage est très riche en faune et flore mais retourne rapidement à l'état de pré, puis, faute de bétail pour la brouter, à l'état de friche intégrale. Elle n'a alors plus rien d'un jardin où l'on peut vivre et jouer avec sa créativité.
La gestion différenciée
Cette notion préside actuellement à la gestion des espaces verts en ville : elle consiste à adapter la végétalisation urbaine en fonction d'une part des besoins de chaque espace, d'autre part de l'utilisation qu'on lui destine. Cette méthode est plus respectueuse de la nature, elle permet une plus grande biodiversité, elle peut aussi avoir une motivation économique (coût en eau, en énergie et en intrants). Nous pouvons nous en inspirer pour nos jardins en plaçant le curseur entre pelouse et nature sauvage comme bon nous semble. Ici (2), sans quelques piloselles, pas de pucerons, donc pas de pouillot dans la pelouse. Au Domaine du Rayol, à côté de la pelouse dite de réception, pour accueillir visiteurs et séminaires, une prairie naturelle (1) pousse librement, avec un minimum d'entretien. Sur le campus universitaire de Dijon, on a joué la carte de différentes variantes de la prairie naturelle, avec le thème des ganivelles, ces palissades traditionnelles en châtaigner. En partant des dallages très urbains, on passe progressivement à la prairie fleurie gérée en fauche tardive.
Près de la maison, améliorer le gazon
Même si l'on souhaite se rapprocher d'une nature riche en faune et flore, un jardin ne peut pas être entièrement occupé par une végétation locale laissée à l'abandon. Les espaces les plus utilisés pour les jeux de plein air, le repos, le pique-nique, méritent d'être tondus et couverts d'un gazon confortable. Sans compter qu'il vaut mieux tenir à distance les tiques par une "barrière anti-tiques", qui peut être une allée bien sèche d'au moins un mètre, ou justement une pelouse rase d'au moins trois mètres, voir Une tique sur un oiseau.
Toutefois la tonte avec évacuation de l'herbe coupée appauvrit progressivement le sol. La première opération pour maintenir au moins la qualité du sol est le mulching, déjà bien connu et largement pratiqué : il permet de conserver sur le sol l'herbe coupée, herbe qui sera "digérée" par les vers de terre et donc recyclée dans le sol.
En périphérie du terrain, en talus, sous les arbres, en zone humide : imiter la nature
Plutôt que de lutter contre la nature et s'acharner à standardiser le jardin avec la pelouse verte, observer ce qui se passe aux alentours dans chacune des situations. Au pied des arbres où la terre est pauvre et usée par exemple, une pelouse sera toujours râpée et désespérante. Mieux vaut planter les petites pervenches que l'on voit souvent à l'ombre des arbres (Vinca minor ou Vinca acutiloba) pour animer le sol nu.
Dans tous les cas, en limite de terrain, il est intéressant pour la faune de conserver une large bande d'herbes hautes, où les hérissons, les orvets, les lézards pourront se réfugier plutôt que d'être acculés à la clôture lors de la tonte. C'est encore mieux si cette bande se poursuit chez vos voisins pour assurer une continuité de déplacement à la petite faune.
Le retour progressif à la prairie
Cette technique est facile à la campagne, où les sols sont gorgés de graines qui ne demandent qu'à s'exprimer : des renouées dont les bourgeons font le régal de ce moineau (5), des pâquerettes (9), des pissenlits, des bugles, des violettes et mille autres plantes. Il suffit d'arrêter les désherbants sélectifs qui restent encore autorisés et d'attendre un peu. C'est plutôt le maintien de l'équilibre qui demande un peu d'entretien.
Maîtrise des plantes dominantes
La prairie n'est pas un milieu naturel, et encore moins un milieu stable. Elle a été créée par l'homme pour y faire paître le bétail, qui assure bénévolement son entretien. Au jardin, la prairie est un milieu évolutif à maintenir dans l'état souhaité. Or certaines plantes qui sont jolies la première année finiront par prendre le dessus et concurrencer trop sévèrement les graminées. Il ne reste plus qu'à les éliminer à la main (et non les éradiquer, ce serait peine perdue) ou alors les considérer comme des plantes bioindicatrices qui vous renseignent sur l'état de votre terrain : les pissenlits trahissent une terre trop compactée et trop riche en matières organiques, les boutons d'or envahissent les terrains trop humides, le plantain se développe sur les terres tassées... voir d'autres exemples dans Liseron et chiendent, mauvaises herbes ou plantes bioindicatrices. Une fois le diagnostic posé, les solutions en découlent : drainage, décompactage, apport d'amendements, etc.
Fauche tardive
Le gazon tondu de près est un milieu pauvre en biodiversité parce qu'il ne peut s'y développer ni fleurs à butiner ni graines à picorer. Le fait de ne plus tondre pendant un certain temps permet aux plantes de prolonger leur cycle végétatif. Mais à quelle époque tondre ?
Retarder la tonte en septembre permet aux fleurs de se développer et aux graines assez précoces de mûrir pendant l'été, puis de relancer une nouvelle floraison en début d'automne quand l'humidité revient. Les papillons investiront à nouveau la prairie, comme dans les pâturages où la végétation est broutée régulièrement.
Retarder la tonte en fin d'hiver permet aux oiseaux d'avoir à disposition des graines tout l'hiver (4 et 6). Inconvénient : le jardin a l'air d'être à l'abandon, la végétation semble morte, on peut ne pas apprécier !
Une solution pour multiplier les biotopes sur une surface limitée est sans doute de gérer trois zones, d'abord tondre normalement, toute la saison, une large allée, droite ou sinueuse, dans la pelouse, et laisser pousser le reste jusqu'en septembre. En septembre, tondre une deuxième allée, une nouvelle pousse et une nouvelle floraison se développeront. Laisser la zone restante poursuivre son cycle jusqu'à la fin de l'hiver, avec les tiges fanées et les graines. Dès que les oiseaux trouveront à manger au début du printemps, bourgeons, insectes, tondre cette dernière zone.
Une jachère fleurie
Plutôt que d'attendre l'arrivée spontanée des plantes locales, ce qui peut être long en ville, on peut semer une "jachère fleurie", en partant directement d'un sol labouré. Il en existe de toutes les hauteurs, pour toutes les situations et toutes les destinations : pour les abeilles, pour les oiseaux, pour les pieds d'arbres, pour le soleil, pour l'ombre...
Ici une dominante cosmos sulphureus et mauve sylvestre.
Souvent les emballages promettent un maintien de la floraison pendant deux ou plusieurs années, mais la végétation locale reprend le dessus bien plus rapidement. Seules les plantes les plus vigoureuses supporteront la concurrence de l'herbe, qui ne manquera pas de revenir spontanément. On aura alors le choix entre renouveler le semis de fleurs ou laisser évoluer d'année en année le mélange herbe et fleurs.
De nouvelles possibilités de création
Non, une prairie naturelle ne bride pas la créativité des jardinières et jardiniers ! Voici un exemple sur le campus universitaire de Dijon, prolongé par une très longue promenade reliant deux quartiers. On passe progressivement des massifs urbains de vivaces et de bulbes très vigoureux (en juin, aulx d'ornement et gauras), qui supportent de s'enherber joyeusement, à une prairie tondue sur les côtés et fauchée tardivement au milieu, plantée de gesses, achillées et toujours les aulx d'ornement géants, puis à des îlots de prairie haute dans des vergers abandonnés. Deux fils conducteurs assurent l'harmonie de toutes ces variantes : le violet et les ganivelles. A vos crayons de couleur !
8. Gestion différenciée et créativité à Dijon