Une tique sur un oiseau...
En commençant la photographie des oiseaux au téléobjectif, je me suis rendu compte que nombre d'entre eux portent des tiques.
Risques pour les oiseaux
La tique est un acarien qui se nourrit de sang sur plusieurs animaux successivement et peut ainsi transporter des dizaines de bactéries, virus et autres microorganismes, et même si elle ne transmet pas d'infection, elle affaiblit les passereaux du fait de la quantité de sang prélevée par rapport à leur poids.
La réaction immédiate est de se demander comment enlever la tique. Je lis des récits d'amateurs d'oiseaux habitués à les manipuler (éleveurs, bagueurs) qui savent extraire le parasite à l'aide d'une pince spécifique, vendue en pharmacie pour les chiens, chats et humains, sans oublier de désinfecter la plaie. Je ne m'y risquerais pas pour deux raisons : il est interdit de capturer les oiseaux sauvages et on risque de faire plus de mal que de bien.
Plutôt que de jouer les apprentis sorciers, mieux vaut connaître la vie et le rôle de la tique et ainsi appréhender le problème plus globalement
La tique
"Sale bête", pensez-vous, comme moi.
Effectivement elle transporte d'un animal à l'autre un cocktail explosif d'agents pathogènes. Les maladies les plus connues sont la piroplasmose chez les chiens et la borréliose de Lyme chez les humains. Chaque espèce réagit différemment, par exemple les chats et chiens développent des anticorps qui combattent la borrélia. Du fait de cette diversité, on a encore beaucoup à découvrir sur le sujet.
Comprendre son cycle de développement pour organiser la lutte
Les tiques de nos régions appartiennent à la famille des Ixodidae, la plus courante en France est Ixodes ricinus. Leur cycle évolutif se déroule en trois stases :
- La larve qui naît de l'œuf est à peine perceptible à l'œil nu (moins d'un millimètre), elle a six pattes. Elle se fixe quelques jours sur un hôte vertébré pour se gorger de sang puis se laisse tomber au sol pour digérer et muer.
- Elle se mue en nymphe d'un millimètre à jeun, à huit pattes. Elle prend un second repas sur un nouvel hôte en quelques jours également, pour grossir jusqu'à deux millimètres, puis se détache à nouveau pour muer au sol.
- Elle se mue alors en tique adulte de 3 à 4 millimètres. La femelle prend un troisième repas sur un troisième hôte pour grossir jusqu'à 7 à 8 millimètres. Elle est alors capable de pondre de 1 000 à 20 000 œufs, puis se dessèche et meurt.
Plus la tique avance dans ses stases, plus l'hôte recherché est gros. Ce sont d'abord majoritairement des rongeurs et des lézards, puis des hérissons, des lièvres, des renards et des écureuils, puis des chevreuils, des sangliers ou des chevaux. Ce n'est que statistique : lors de ses trois stases elle peut notamment s'attaquer à l'homme.
Sa stratégie évolue parallèlement, elle se perche chaque fois plus haut : herbes basses, puis herbes hautes, puis fougères et ronces, jusqu'à 1,50 mètre.
Le tout se déroule sur 2 à 4 ans, voire 7 ans si les conditions climatiques sont défavorables.
Sur tout ce temps, la tique passe 95 % de son temps à guetter la rencontre avec son animal-hôte. Elle ne peut vivre en attendant que dans les milieux humides : le sol des forêts couvert de feuilles toute l'année est l'idéal pour elle, qui exige un taux d'humidité d'au moins 80 %.
Elle n'est active qu'entre 7 et 25 °. Elle se déplace passivement sur son hôte ou bien de façon autonome, à pattes.
Elle n'a pas beaucoup de prédateurs, à part les oiseaux, justement ! Les poules notamment sont de redoutables tueuses de tiques, elles peuvent en consommer jusqu'à 200 en trois heures.
A la campagne, une barrière anti-tiques pour votre jardin
Les oiseaux ne connaissent pas les limites cadastrales. Néanmoins, en protégeant son jardin, on limitera les agressions des tiques contre les oiseaux au moins sur un bout de territoire indemne.
Fort de la connaissance du mode de vie des tiques, l'astuce est de créer une "barrière sèche" ensoleillée autour de la zone de vie, qui peut être une allée gravillonnée ou recouverte d'écorces, un massif d'arbustes espacés sur sol paillé, un mur de pierres scellées ou un enclos de poules.
Côté maison : on place le coin sieste, les balançoires, le potager, les massifs de fleurs.
Côté campagne : on laisse les herbes hautes ou les friches, refuge de la petite faune, les haies, les tas de bois, le compost, les abris à hérissons (sacs à puces ! et à tiques !), les zones d'ombre.
Dans la zone de vie, pas de feuilles mortes, pas de végétation négligée, pas des tas de déchets, pas de pelouse trop humide, pas de végétation basse susceptible d'entretenir la fraîcheur du sol. Pailler ou gravillonner également les zones de jeu ou de repos.
La "barrière" doit être au minimum d'un mètre, à laquelle s'ajoute une zone de migration possible de trois mètres.
Voir aussi un exemple de plan de jardin par Jean-François COSSON, spécialiste de l’écologie des maladies infectieuses à l'INRA.
Etudes participatives et lutte biologique
Lyme est une petite ville du Connecticut, qui est la première dans les années 1970 à avoir alerté les autorités sur l'explosion de maladies inhabituelles chez ses habitants et a permis d'accélérer la recherche, sur 40 ans tout de même.
Les expériences de lutte biologique
Pour lutter contre les tiques dans la nature, on exclut les pesticides par principe et les nématodes, un parasite de la tique pas assez sélectif.
Reste donc la destruction par des champignons entomopathogènes, qui parasitent et tuent la tique. Les plus utilisés sont Beauveria bassiana et Metarhizium anisopliae.
- Dans le comté de Dutchess, dans l'Etat de New-York, les habitants ont réduit de 60 % la densité des tiques dans leurs propriétés, en capturant des rongeurs dans des pièges pulvérisant des spores de champignons parasites, avant de les libérer (The Tick Project, sur 5 ans, commencé en avril 2017).
- Dans le New-Jersey, en deux ans seulement, la même technique a fait chuter la densité des tiques et la prévalence de l'infection par Borrelia bugdorferi (l'agent de la borréliose de Lyme) de 90 % (2017).
La recherche participative
Pour une lutte de grande ampleur, rien ne vaut la collecte d'informations directe en temps réel par la population.
- En Grande Bretagne, un réseau de vétérinaires relate chaque semaine ses observations et envoie des échantillons de tiques au laboratoire de l'Université de Bristol pour étude (The Big Tick Project, en cours, initié en avril 2015).
- En Belgique, les citoyens mordus par une tique sont invités à mettre la bestiole sous enveloppe et à l'envoyer à l'Institut scientifique de santé publique pour analyse, et à transmettre leurs observations par l'application pour smartphone Tiquesnet (avril à octobre 2017).
- En France, il a été mis en place un Plan national de lutte contre la maladie de Lyme, avec le programme de recherche participative Citique doté d'une application pour smartphone.
Pour se réconcilier avec la tique, tenue à distance respectable, son rôle dans la nature et les espoirs thérapeu... tiques
Le but des expériences actuelles n'est pas d'éradiquer la tique mais de restaurer un équilibre. En effet, elle a un rôle dans la nature que l'on commence seulement à comprendre. Et c'est le déséquilibre provoqué par l'homme qui est responsable de l'explosion des maladies liées aux tiques : destruction des animaux dits nuisibles, d'où prolifération des rongeurs et des cervidés, etc.
Les oiseaux sauraient-ils déparasiter leurs nids ?
Les oiseaux ne sont pas complètement démunis contre les tiques. Des scientifiques mexicains ont démontré en 2014 puis 2017 que certains oiseaux en milieu urbain utilisent les mégots de cigarettes pour éradiquer les tiques de leurs nids. C'est une stratégie de court terme puisque l'on sait par ailleurs que la nicotine est très dangereuse pour le développement des oisillons. Mais j'imagine qu'il s'agit d'une méthode qui a sa source dans la nature et qu'elle est dévoyée en ville... Affaire à suivre.
La tique est-elle utile ?
Selon le Dr Jean-Claude GEORGE, "le rôle des tiques dans l'écosystème demeure encore assez mal connu, toutefois il se révèle être d'une très grande complexité.
À tel point qu'on ne peut plus désormais envisager les tiques sous le seul angle réducteur de vecteurs d'agents pathogènes.
En fait, ces acariens sont totalement impliqués dans un système parasité complexe qui commence tout juste à être compris."
Elles ont elles-mêmes quelques prédateurs et des parasites, elles jouent également un rôle dans la régulation des espèces. Pour les détails, voir le site Lymeaware.
Un espoir thérapeutique
L'efficacité de la salive de la tique dans la transmission des bactéries pourrait jouer un rôle dans le développement de nouveaux médicaments pour traiter des anomalies cardiovasculaires et même le cancer. Des recherches préliminaires suggèrent que certains constituants de cette salive pourraient bloquer la croissance tumorale et la croissance de vaisseaux sanguins indésirables, et inhiber la formation de caillots sanguins. A suivre.
Sources, informations complémentaires
Un site très pointu et complet sur les maladies liées aux tiques, créé par le Dr Jean-Claude GEORGE, docteur en médecine, spécialiste en médecine générale, soutenu par le Pr Claude CHASTEL, correspondant national de l'Académie de Médecine. Inconvénient, la dernière mise à jour date de mars 2011.
Une série d'articles dans la revue The Conversation :
L'impossible cartographie de la maladie de Lyme (28 septembre 2016)
Lyme : des moyens existent pour se protéger des tiques (20 septembre 2016)
Aménager son jardin pour se protéger des piqûres de tiques (23 juillet 2017)
La publication sur les mégots de cigarette utilisés par les oiseaux comme anti-parasite (1er septembre 2017), relayée par exemple par Science et Avenir
Un article sur les espoirs thérapeutiques (attention, la traduction française est un charabia robotisé).
D'autres articles de ce blog, Maladies des pattes des oiseaux, Maladies des oiseaux : prévention, Oiseau en détresse.
Merci à Daniel CHREBOR pour sa photo de pinson du Nord et à Martine BOUILLOT pour sa photo de poule.
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