La chevêchette d'Europe, une adaptation à contre-courant

Publié le par Marie-Claire RAVE


J'étais fort dépitée qu'on ne me croie pas quand je relatais ma rencontre vers 2017-2018 avec une chevêchette d'Europe dans la vallée de l'Arroux. C'est en Saône-et-Loire, au pied du massif du Morvan.
Au point de penser que je m'étais trompée.

Une chouette de montagne (en principe)
Elle est toute petite, grande comme une main, de l'ordre de 15 cm, pour un poids de l'ordre de 75 grammes. Elle aime le froid. Elle avait été observée dans le Morvan, massif réputé glacial qui culmine à 901 mètres, avec sa petite station de ski du Haut-Folin. Elle est assez sédentaire, la femelle peut toutefois se déplacer de 40 km dans une journée, je suis donc dans son rayon d'action potentiel.

Une disparition progressive des petites chouettes de montagne ?
Le terme « petites chouettes de montagne » désigne la chouette de Tengmalm (Aegolius funereus) et la chevêchette d'Europe (Glaucidium passerinum). Ce sont deux espèces boréales de milieux forestiers fortement boisés à climat froid. En France, elles habitent les forêts montagnardes (Vosges, Jura, Alpes et Pyrénées), et peuvent aussi fréquenter des plateaux moins élevés (Côte d’Or, Ardennes pour la Tengmalm, plaines forestières en Allemagne et en Pologne pour la Chevêchette).
Elles figurent toutes les deux à l'Annexe 1 de la Directive 79/409/CEE, qui impose des mesures de conservation de l'habitat et de l'Annexe 2 de la Convention de Berne, qui exige de protéger le milieu de vie.
Pour connaître l'état de conservation et l'évolution de leurs populations, un réseau national a été mis en place par la LPO et l’ONF en 2008. Les observations respectent un protocole très strict de recherche des deux espèces qui permet de partager les informations sur une base commune. Ce dispositif national a contribué aux découvertes récentes, notamment pour la chevêchette.
Non seulement le protocole a été appliqué à des sites historiquement connus pour l'une ou bien les deux espèces, mais il a été étendu à des sites témoins potentiellement favorables.
Dans ce cadre, la Société d'histoire naturelle d'Autun (SHNA) assure le suivi sur le Haut-Morvan depuis 2011. Ce sont cinq parcours ponctués de points d'écoute qui ont été menés au cours de deux passages durant les mois de février à avril sur les zones les plus élevées du Morvan (Haut-Folin, Forêt d'Anost, Mont Beuvray, Mont Préneley).
Le bilan annuel de la SHNA indique que la chevêchette a été observée en 2012, puis plus rien pendant sept ans. Puis elle a été vue pour la dernière fois en 2018, non pas dans le massif du Morvan mais dans le sud de la Saône-et-Loire. Autrement dit elle avait forcément traversé ma petite région. Il est donc vraisemblable qu'elle ait fait escale pour quelques heures dans un érable devant la fenêtre de mon bureau.
Le mystère s'éclaircissait.

Rebondissement en mars 2025
Et voici que France 3 nous apprend que notre chevêchette a été observée pour la première fois le 10 mars 2025 dans le Parc national de forêts, à cheval sur la Bourgogne et la Champagne, en plaine. Le lieu précis n'a pas été révélé, on sait seulement qu'il s'agit de la forêt domaniale de Châtillon-sur-Seine, donc à une altitude de 300 ou 400 m. Amélie Hégron, chargée d'étude au Parc, qui l'a découverte et photographiée, n'en croyait pas ses yeux. Elle a eu le temps de l'observer de près pendant un quart d'heure et de la photographier avec son téléphone portable. Malgré une lumière un peu chiche en cette fin d'après-midi (vers 17 h 30), le cliché ne laisse aucun doute sur son identification.
Et pourtant cette découverte n'est pas le fruit du hasard. Sachant que la chevêchette avait tendance ces dernières années à descendre vers des altitutes plus faibles et à coloniser vers l'ouest à partir des Alpes et du Jura, les équipes du Parc soupçonnaient sa présence, mais n'en avaient pas la preuve. Elles ont donc cherché les lieux les plus propices à leur implantation. Pour cela elles ont croisé les données cartographiques regroupant les critères favorables : plaines, vallées froides, vieux massifs, arbres à cavités creusées par les pics. Elles ont ainsi défini les zones à prospecter et ont mené à bien cette découverte.

Alors que le réchauffement climatique pousse la faune et la flore à remonter en altitude, vers les montagnes, ou en latitude, vers le Nord, la chevêchette se serait adaptée pour descendre en plaine.

Pour la protéger
Vous ne disposez peut-être pas d'une vieille forêt dans une vallée froide. Alors en préservant un arbre creux ou un arbre mort, vous mettrez toutes les chances de votre côté pour qu'une chevêchette fasse escale dans votre jardin. A défaut de chouette, vous inviterez toute une faune à coloniser l'arbre : insectes, amphibiens, petits mammifères, oiseaux...
- La chevêchette fréquenterait (rarement) les nichoirs artificiels, à condition d'en prévoir deux, un pour le mâle et un pour la femelle, car le couple fait chambre à part.
- Pour les chouettes en général, la présence de pelotes de réjection indique qu'il s'agit d'un bon emplacement pour un nichoir.
- Eviter à tout prix de poser un nichoir près d'une route, car elles sont souvent victimes de collisions routières.
- Eloigner le nichoir des colonies de chauves-souris, car ce sont des proies pour les chouettes. Ce n'est pas toujours une bonne idée de trop intervenir !
- Il est conseillé de placer le nichoir le plus haut possible dans un bâtiment, et de le fixer derrière une  petite ouverture vers l'extérieur,
- Des coulures de craie ou de plâtre imitant les fientes attireront les chouettes.
Bonne chance !

 

Sources, informations complémentaires
La page de la SHNA consacrée au suivi des petites chouettes de montagne
L'article de France 3
https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/cote-d-or/je-n-en-croyais-pas-mes-yeux-une-chouette-chevechette-rare-dans-la-region-se-pose-pendant-15-minutes-et-se-laisse-photographier-135541.html
La fiche Chevêchette d'Europe de l'INPN (Inventaire national du patrimoine naturel)
Une vidéo publiée par la LPO Isère : https://youtu.be/kJlKg-lJSCU

Publié dans Oiseaux

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