Adieu broyeur et désherbant, bonjour écopâturage

Publié le par Marie-Claire RAVE


L'écopâturage n'est pas nouveau. Il a été adopté par de nombreuses mairies depuis l'interdiction des pesticides de synthèse dans les espaces publics, par la loi de transition énergétique du 17 août 2015 effective au 1er janvier 2017. Mais est-il réalisable chez les particuliers ? J'ai posé la question à Romain Bidolet, paysagiste et éleveur à Chalmoux en Saône-et-Loire.

Marie-Claire Rave - Avec quels animaux pratiquez-vous l'écopâturage ?
Romain Bidolet - On a plusieurs races de moutons et quelques chèvres. Des moutons d'Ouessant, très petits, presque nains, des moutons de Jacob, plus gros, assez difficiles à trouver car c'est une race presque disparue, des races plutôt d'origine anglaise, et des Suffolk, les gros moutons d'élevage, qui sont plus adaptés aux grands terrains. Nos chèvres sont un peu de toutes les races, ce sont principalement des chèvres de réforme, issues des élevages traditionnels, qui commencent à produire moins de lait, et qui prennent leur retraite chez nous car elles sont parfaites pour l'écopâturage en terrain difficile. 

Jeune mouton de Jacob

MCR - Quel est votre type de clientèle ? Travaillez-vous pour des particuliers ?
RB - Des particuliers, des mairies, et on travaille actuellement à développer une clientèle d'entreprises. On a progressé par petits secteurs, le temps de développer le cheptel. Pour l'instant on a une grande entreprise, qu'on gérait auparavant de manière conventionnelle, et qu'on a converti en écopâturage. Il s'agit d'un terrain vague, une réserve foncière, où on passait le broyeur deux fois par an. 

MCR - Justement, sur cette mission, vous avez pu comparer le coût entre conventionnel et écopâturage ?
RB - Le pâturage est moins cher, c'est clair, mais surtout il est plus écologique et il répond à la demande des entreprises.

MCR - Pour les particuliers, sur une petite parcelle, le coût fixe doit être très important...
RB - Effectivement, pour une parcelle de 200 mètres carrés, la mise en place revient cher. A partir de 1000 ou 2000 mètres carrés, le coût au mètre carré baisse notablement. C'est sur les terrains difficiles, comme les talus, les bords d'étang  ou de rivières, que l'écopâturage revient moins cher que le conventionnel. Par exemple, on intervient sur des terrains escarpés dans le vieux bourg de Bourbon-Lancy et là, le prix est intéressant.

MCR - Il est possible pour les particuliers de se regrouper pour avoir de plus grandes surfaces à gérer ?
RB - C'est justement ce qui s'est passé à Bourbon-Lancy, car on a fait un premier débroussaillage avec les chèvres, puis, voyant les résultats, un deuxième puis un troisième propriétaire, pourtant réticents au départ, ont adopté l'écopâturage, tout-à-fait convaincus par l'efficacité des chèvres. Tout ça peut s'organiser pour réduire les coûts.

Moutons d'Ouessant

MCR - Concrètement, comment se passe la mission ?
RB - Il faut commencer par clôturer car en général rien n'est prévu pour les animaux. Deux possibilités : soit on pose une clôture fixe, et donc on vend une prestation de clôture, soit on pose des clôtures temporaires en filet, des filets électrifiables, qui sont déplaçables rapidement pour faire des parcs. C'est ce qui se pratique le plus. Ensuite, je vais voir les animaux tous les jours, ou tous les deux jours si le propriétaire s'engage à les compter et vérifier si tout va bien. 

MCR - Peut-on envisager l'écopâturage pour une pelouse, je pense à la salubrité, aux crottes de chèvre et de moutons, aux terrains qu'on veut garder très plats, très soignés, aux traitements qui pourraient indirectement être importés par les animaux ?
RB - Les moutons d'Ouessant sont très légers, ils ne détériorent pas le terrain, mais ils peuvent abîmer certaines plantes cultivées. Il ne faut pas avoir de massifs de fleurs, ou alors il faudrait passer un temps infini à clôturer chaque massif. On intervient plutôt pour un endroit à défricher, ou un grand verger (le mouton ne mangera pas les arbres, il tondra sous les arbres), ou un grand poulailler... Effectivement ils laissent des crottes mais elles sont vite dégradées. Sans être estampillé bio, on travaille sur tous les aspects écologiques, nos bêtes ne sont pas traitées systématiquement, on traite uniquement les cas de maladies, qui sont rares.

On utilise les produits phytosanitaires au minimum du minimum. Les traitements, les antibiotiques par exemple, ralentissent énormément la dégradation des crottes, car ils tuent aussi les petits organismes qui sont là normalement pour les digérer. Les mouches n'arrivent pas à se poser dessus et ne peuvent pas les décomposer. Ils détruisent le vivant jusqu'au bout de la chaîne. Ici on a fait l'expérience et c'est assez impressionnant. On n'utilise pas de traitements chimiques préventifs. Les gros moutons, les Suffolk, ne sont pas du tout rustiques, les premiers qu'on a achetés avaient besoin de nombreux traitements, parce qu'ils provenaient d'un élevage intensif. On a eu des difficultés à arrêter les traitements, ils étaient sans arrêt malades, mais finalement ils se sont adaptés à notre façon de les conduire. Les jeunes, la deuxième génération, n'étaient plus jamais malades et n'avaient plus besoin de traitements. On s'est rendu compte qu'à force de traiter on détruit tout leur système immunitaire et il faut les traiter tout le temps pour tout. Il faut dire qu'on n'a pas de cas de piétin ici parce ce que les terrains sont assez secs. On donne juste un peu de vermifuge, un peu de déparasitage. On est en recherche permanente de prévention avec des plantes. Par exemple au printemps on a pas mal de problèmes avec les myiases, des infestations de la peau engendrées par des mouches qui pondent dans la laine, et qui produisent des petits asticots sur le dos. En prévention on leur donne des blocs à lécher à base d'ail, qui émettent des composés soufrés et agissent comme une barrière odorante ; les moutons en raffolent, leur transpiration contient cette odeur d'ail et ça limite beaucoup les infestations. Pour nous, l'odeur est un peu incommodante... Autre exemple : contre l'ecthyma, une maladie virale qui provoque des affections de la peau sur les mamelles des mères et donc sur la gueule des agneaux, on suspend des branches de houx dans la bergerie, car le houx dégage des molécules anti-virales. J'étais vraiment sceptique, mais je dois reconnaître que depuis qu'on met le houx, les infections ont disparu, ça a été radical, on n'a pas besoin de vacciner ni de traiter. On essaie de plus en plus ce genre de méthodes et ça fonctionne.
On produit nous-même notre foin, sans intrants et on produit notre compost avec le fumier des animaux. 
Quant à l'alimentation de nos animaux sur les chantiers, elle est pratiquement toujours bio, les terrains municipaux (bassins de rétention, bords de chemins) n'ont jamais été cultivés, les particuliers, les entreprises, ne traitaient pas les terrains qu'ils ont à défricher ou entretenir. 

MCR - Vous travaillez sur devis ?
RB - Oui, essentiellement. On va d'abord voir le chantier pour estimer le temps qu'il faudra, par rapport à la surface, au volume d'herbe et à la saison. Tout entre en compte : l'accessibilité, s'il y a un abri ou si on doit en fournir un, s'il y a des points d'eau ou si on doit prévoir des abreuvoirs et l'approvisionnement en eau, etc. Heureusement les moutons sont très sobres en eau, ils ne boivent pratiquement pas. 

MCR - Les chèvres et les moutons sont-ils capables de débroussailler, de manger les plantes indésirables ? Jusqu'où va leur mission ?
RB - Chaque race de mouton est différente. Certaines mangent uniquement de l'herbe, certaines mangent un peu de ligneux, comme les repousses de ronces et de charmilles, on va adapter le choix des animaux au chantier et à l'attente du client. Les chèvres mangent la renouée du Japon, une invasive, les moutons beaucoup moins. On peut aussi contenir les pousses de bambou si on laisse les chèvres presque en permanence. A Bourbon, où les talus jamais entretenus étaient devenus d'énormes ronciers, elles ont tout mangé, on a simplement coupé les branches épaisses et les troncs qui restaient. 

MCR - La profession est en train de se structurer, il y a un syndicat professionnel qui s'est créé en 2020...
RB - Il y a beaucoup de gens qui se lancent dans la profession et il y a un important besoin en formation des paysagistes qui sont novices en élevage. Ceux qui comme moi, fils d'agriculteurs, sont tombés dans la marmite étant petits, n'ont pas besoin de formation. Les novices oublient souvent que l'hiver il faut continuer à s'occuper des moutons, avec ce que ça implique de bâtiments, de culture du foin, etc. On les rentre l'hiver deux à trois mois en période d'agnelage. Ce n'est pas une question de froid car nos races de moutons sont très résistantes au froid, surtout les moutons d'Ouessant, les mères peuvent entrer et sortir quand elles veulent. Elles peuvent faire leurs petits dehors, mais il faut que les agneaux soient protégés des renards. Par contre les grosses races d'élevage sont plus délicates au froid parce que la sélection en vue de produire plus de viande, de génération en génération, leur a fait perdre leur rusticité. 
Donc beaucoup de gens se ruent sur ce nouveau marché, on a par exemple des concurrents qui achètent un lot de moutons au printemps, qu'ils revendent à l'automne, sans s'en occuper l'hiver ni connaître leurs conditions d'élevage. Chacun a une gestion différente de son troupeau. 
Il y a un argument en faveur de l'écopâturage que j'aimerais ajouter, c'est qu'on supprime en grande partie la pénibilité et le risque d'accident du travail dans le métier de paysagiste, car les moutons et surtout les chèvres sont beaucoup mieux adaptés au travail de débroussaillage en situation périlleuse, que l'homme !

Sources, informations complémentaires
Romain Bidolet, Les Philippes, CHALMOUX 
sas.naturae@gmail.com
 

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F
Bonjour ! Pour les curieux, lien agrobiodiversité animale. cf https://association-ferme.org/
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