Au Père Lachaise, les oiseaux sont revenus
Changer de regard sur les cimetières, c'est ce que nous proposent les jardiniers du Père Lachaise, sous l'impulsion de la Mairie de Paris. Depuis avril 2015, plus une goutte de pesticide chimique n'y est entrée, et tout va bien : les graminées et autres herbes folles sont revenues, les insectes aussi, et donc les oiseaux, les hérissons et beaucoup d'autres habitants bien vivants.
Un biotope très riche
44 hectares de tranquillité, 5300 arbres et zéro-phyto, le tout en pleine ville : pour nous il s'agit de tombes, pour la faune c'est un chaos rocheux, voire de petites falaises, sous une forêt clairsemée.
Aux plantes spontanées s'ajoutent les espèces décoratives plantées par l'homme et les fleurs les échappées des jardinières.
Le terrain plat ou escarpé, labyrinthique, offre une grande variété d'habitats, surtout aux espèces rupestres. Qui plus est, il n'est pas éclairé la nuit, et l'on sait que la pollution lumineuse empêche les animaux nocturnes de chasser.
Une faune qui prospère
Les oiseaux
Les plus visibles sont les corneilles noires, une vingtaine de couples. A Paris elles sont nombreuses à être baguées, et la numéro 157, qui m'a suivi tout l'après-midi, me semble très familière car un reportage entendu sur France Inter la cite également. Ou alors elle sait que les porteurs de matériel photographique mangent souvent des sandwiches sur place ? Elles adorent soulever les mottes de terre et les pierres à la recherche d'insectes.
Les plantes qui tolèrent les sols tassés, comme la famille des graminées et des carex (ou laîches) sont nombreuses, ce qui attire les espèces dites caricoles. Les fruits abondent : les arilles des ifs, les marrons, les samares des érables, les faînes des hêtres, les graines des bouleaux… un microcosme qui convient à de multiples espèces, granivores et frugivores.
Comme en ville, les pigeons apprécient la présence des humains et des restes de repas.
Les perruches à collier prospèrent, comme partout en Europe. En septembre, on entend un crépitement permanent, comme une pluie fine, surtout par beau temps : elles décortiquent au-dessus de nos têtes les fruits des cyprès qui bordent une longue allée.
Les papillons
La mairie est fière de présenter dès l'entrée le retour de Polyommatus Icarus, l'Argus bleu, un petit papillon pourtant très commun qui s'envole par dizaines quand on marche dans les régions non traitées.
Les hérissons
L'auxiliaire du jardinier régule comme ailleurs la population de mollusques, dont une dizaine d'espèces est présente ici. Ils sont le signe de la bonne santé du biotope.
Les chats
Heureusement ils sont en déclin, ce qui permet aux oiseaux qui nichent au sol de survivre depuis deux ans, comme le rouge-gorge, ce qui n'était pas le cas auparavant.
Les fouines
Elles régulent la population de rats et de petits rongeurs, et quelquefois d'oiseaux.
Les lézards
Habitués des pierres au soleil, ils ont trouvé ici leur paradis.
Les chauves-souris
Elles passent ici pendant leurs migrations mais ne séjournent pas longtemps. Sur les douze espèces de chauves-souris présentes à Paris, la plus commune, qu'on rencontre au Père Lachaise, est la pipistrelle, difficile à repérer sans matériel à ultrasons.
Les écureuils
Beaucoup de graines à se mettre sous la dent !
Pas de renard
… car le Père Lachaise est complètement clos, il est très difficile pour une animal de cette taille d'y pénétrer. Mais il y en a un au cimetière Montparnasse.
Un travail un peu plus compliqué pour les jardiniers, mais un travail beaucoup plus sain !
Il ne s'agit pas de laisser la nature reprendre totalement ses droits, car dans ce cas le Père Lachaise serait déjà impénétrable. Les érables sycomores se ressèment à grande vitesse, au point de devenir invasifs, ils sont donc surveillés de près. Certains arbres risquent également de maintenir une humidité trop forte qui abîme les tombes.
En attendant le développement de nouveaux moyens de désherbage, le maintien en état des lieux est assuré par une équipe de seize jardiniers qui pratiquent un désherbage manuel ou un débroussaillage mécanique, par zones.
Une démarche souvent mal comprise par les familles
Pour le culte des morts, pour lutter contre l'oubli, vaut-il mieux des tonnes de pesticides répandus autour de leurs tombes, ou un jardin un peu sauvage plein d'oiseaux, où l'on a envie de rester quelques heures ?
Les herbes folles sont bien inoffensives…
En revanche, on peut admettre que les arbres doivent être contenus. Ce cimetière a été créé il y a plus de deux cents ans, et de nombreux caveaux, au sein de concessions perpétuelles, ne sont plus entretenus depuis plusieurs générations. Les grands arbres poussés spontanément entre les tombes commencent à grignoter la pierre : blessé par les obstacles, le cambium de l'arbre, partie située entre l'écorce et le cœur, contourne et englobe les fondations et l'arbre finit par avaler littéralement la pierre et désarticuler l'édifice. On rencontre dans la partie ancienne du cimetière un immense platane - espèce spécialiste de l'opération - qui épouse et grignote plusieurs tombes autour de lui.
Quant aux habitants permanents du cimetière, ils n'ont pas à ma connaissance été sondés sur le sujet.
Parlez-en autour de vous et faites comprendre que la propreté apparente des cimetières de vos villes cache en fait des produits toxiques néfastes et inutiles au souvenir de nos morts !
Une chienne clandestine surgie de nulle part règne sur les lieux
Je suis tombée nez-à-nez avec une chienne malinoise à demi-sauvage que j'avais déjà vue dans un reportage sur Arte. Personne ne peut l'approcher, pas même les jardiniers, qui semblent lui avoir donné à boire ici. Effectivement elle est partie quand je suis arrivée à une dizaine de mètres.
Sources, informations complémentaires
Sauvages et urbains, à la découverte des animaux dans la ville, un livre de Xavier Japiot, éditions Arthaud 2018
Le Père Lachaise, un reportage d'Arte diffusé le 9 novembre 2018 (43 minutes)
L'émission de Denis Cheyssou du 3 novembre 2018, CO2 mon amour (la séquence commence à 21'40") à écouter en replay ou en podcast
… et pour aller plus loin :
Funérailles écologiques, pour des obsèques respectueuses de l'homme et de la planète, second sous-titre "Guide de survie en milieu funéraire", un livre de Serge Lapouge - Brigitte Lapouge-Déjean - Laétitia Royant aux éditions Terre vivante
Quelques paysages du Père Lachaise accueillants pour la faune
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