Inviter la salamandre

Publié le par Marie-Claire RAVE

Inviter la salamandre

J'ai trouvé cette jolie salamandre dans le regard d'une vanne d'arrosage, où elle dormait à l'abri de la lumière. Je m'inquiétais de la voir amorphe, je me suis donc documentée rapidement sur son mode de vie, et effectivement elle est pataude et se déplace très lentement.  J'ai refermé le couvercle de la vanne, en m'assurant que la bestiole (Salamandra salamandra) n'était pas prisonnière et pouvait s'échapper par le trou d'ouverture grâce à des débris végétaux servant d'escabeau.

salamandre jardin vanne arrosage

Connaître son mode de vie pour la protéger
Elle se déplace sans se presser et à découvert car elle se sent protégée par une neurotoxine, le samandarin, qu'elle est capable d'exsuder lorsqu'elle est attaquée par un prédateur. On voit nettement sur la première et la dernière photo des petits trous noirs derrière les yeux : ce sont les glandes parotoïdes, qui sécrètent le samandarin. Elle a aussi des rangées de glandes dorsales qui ont la même fonction. Cette confiance lors de ses déplacements à découvert la rend vulnérable sur les routes, on la voit d'ailleurs plus souvent morte sur l'asphalte que vivante dans son milieu préféré.
La peau humaine ne craint pas ce "venin", sauf en cas de blessure, mais attention, les chiots ou les chats peuvent en être affectés. 
Outre ce moyen de défense, l'organisme de la salamandre a la capacité de régénérer des parties blessées ou perdues. 
Elle est nocturne. Ses grands yeux noirs, presque disproportionnés, sont adaptés à la vision nocturne et crépusculaire. Par nuit noire ou en action de chasse, l'olfaction prend le relais de la vue grâce à son organe voméro-nasal, un deuxième organe olfactif.
Elle n'hiberne pas, elle vit simplement au ralenti et en période de gel se réfugie dans des galeries souterraines abandonnées.

Son habitat
Elle vit dans les milieux boisés de feuillus ou mixtes (feuillus et conifères) capables de conserver de l'humidité. Elle trouve des abris humides sous les pierres, les écorces, les branches ou les troncs pourrissants. Elle a besoin de nombreuses caches à terre et de points d'eau pour pondre. Durant la sécheresse de cet été, il est probable que "ma" salamandre a choisi cette cachette car la vanne fuyait légèrement. 
Les points d'eau qui conviennent à ses larves sont très variés : ils peuvent être courants ou stagnants, même peu stables ou intermittents, en milieu acide ou alcalin. Mares, fossés, ornières, ruisseaux voire ruisselets, fontaines, sources, micro-bras temporaires des rivières, sont privilégiés. La profondeur d'eau peut être très faible, moins de cinq centimètres, et la surface peut être réduite, moins d'un mètre carré, ce qui favorise un réchauffement rapide au moment de la croissance des larves. Toutefois l'instabilité du point d'eau peut être un facteur d'échec si son assèchement intervient avant le développement complet des larves.
Elle a plus particulièrement besoin de cachettes lors de ses mues successives, qui ont lieu tout au long de sa vie et notamment au cours de sa croissance, car dans ces périodes la peau produit moins de samandarin, elle est donc plus vulnérable. Elle préfère les berges non végétalisées, mais lors des mues elle apprécie la végétation pour s'y frotter et se débarrasser de son ancienne peau.
On la trouve  pratiquement sur toute la France, sauf dans certains secteurs de la façade atlantique (les Landes notamment) et sur le pourtour méditerranéen ; elle est très rare dans les milieux artificialisés. Elle peut se rencontrer jusqu'à 2300 m d'altitude.

Connaître son cycle de vie pour faciliter sa reproduction
La salamandre vit à terre, et contrairement aux autres amphibiens s'accouple à terre. Elle est ovovivipare. L'automne est consacrée à la recherche de partenaires en vue de l'accouplement qui a lieu entre septembre et mai selon les régions. Après la phase de parade nuptiale, le mâle lâche un spermatophore, une capsule renfermant les spermatozoïdes, que la femelle absorbe par le cloaque. La femelle porte alors les embryons pendant huit à neuf mois puis rejoint un point d'eau pour libérer les larves au printemps, à la fin de la période embryonnaire. Les membranes cèdent au moment où les larves tombent dans l'eau. La durée de développement de la larve est de quatre à six mois. Les larves sont des salamandres en miniature avec une grosse tête. On les reconnaît aux taches jaunes très nettes qu'elles portent sur les pattes, taches qui n'existent pas chez les autres amphibiens. Les individus formés atteignent la maturité sexuelle sur une période s'étalant de deux à quatre ans. 
Après un accouplement réussi, la femelle parvient à conserver la semence du mâle pendant plusieurs années et n'a donc pas besoin de nouveau partenaire pour donner de nouvelles générations.
Les points d'eau listés ci-dessus sont ceux qui conviennent parfaitement au développement des larves.

Donc, pour l'inviter…
Si votre jardin est encadré par des routes, c'est un piège mortel, oubliez !
Dans l'idéal, pour l'inviter, il faut disposer d'une forêt mixte, d'un ruisselet ou d'une mare et d'un marécage.  Vous n'avez peut-être pas tout cela dans votre jardin, alors assurez-lui :
- un coin humide en permanence très ombragé, par exemple au nord de la maison près du robinet d'arrosage ; 
- une haie et/ou un bosquet de feuillus, si possible connectés à d'autres haies et bosquets ;
- des petits tas de feuilles et de bois pourri ;
- des pierres plates recouvrant de petites cavités,
- un petit creux d'eau en pente douce (1 m² de surface et 5-10 cm de profondeur) qui reste en eau au moins du début du printemps jusqu'à la fin juillet (ou tant que vous y voyez des larves) ;
- ou envisagez la mise en place d'une mare partiellement végétalisée avec une zone peu profonde.
Empêchez l'accès à cette zone humide aux chiots et aux chats.
Comme pour les hérissons, veillez à éliminer les pièges, c'est-à-dire tous les endroits où la salamandre pourrait tomber sans possibilité de ressortir.
Si vous trouvez une salamandre plusieurs fois chez vous, sachez que vous pouvez savoir s'il s'agit d'un ou plusieurs individus en observant les taches, qui sont comme nos empreintes digitales propres à chaque individu.


Les récipients divers au jardin, un piège mortel
Attention ! Contrairement à ce qu'on pourrait croire, la salamandre adulte ne sait presque pas nager, car elle est exclusivement terrestre, seule sa larve est aquatique. Elle est incapable de sortir d'un récipient plein d'eau, ni d'un récipient vide, d'ailleurs. Elle s'épuise à s'agiter frénétiquement pour rester en surface et meurt noyée.
Veillez à placer une branche ou un autre objet rugueux permettant de remonter dans tous les contenants du jardin, arrosoirs, bassines, seaux, abreuvoirs...
 

 

Inviter la salamandre

Etat de conservation de l'espèce
La salamandre est encore très commune. Toutefois, selon les auteurs de l'Atlas des amphibiens de Bourgogne,  l'évolution des paysages, le drainage ou le comblement des petites zones humides, l'arrachage des bosquets entraînent déjà la disparition des populations, qui se retrouvent parfois confinées autour d'un unique point d'eau de reproduction.
L'espèce est protégée par la Convention internationale de Berne (annexe 3), pas question de la séquestrer chez vous. Elle est encore classée dans la Liste rouge mondiale des espèces menacées en "préoccupation mineure" en France, en Europe et dans le monde. Mais son déclin est très rapide, et il est depuis 2008 accentué par une mycose qui provoque la mort des salamandres et des tritons .


Une mycose redoutable
Originaire d'Asie du Sud-Est, un champignon microscopique a probablement été importé par le commerce des tritons exotiques : Batrachochytrium salamandrivorans. Il provoque chez les salamandres et le tritons des ulcérations de la peau qui s'étendent et s'approfondissent, puis une perte d'appétit, puis des troubles nerveux, notamment une apathie générale, conduisant à la mort en une quinzaine de jours.
On constate encore une fois qu'il faut s'interdire de participer au commerce interplanétaire d'animaux pour terrariophilie, et si l'on possède déjà des amphibiens exotiques, s'interdire de les relâcher dans la nature.
Signalez les amphibiens découverts morts à la hotline bsaleurope.com ("bsal" comme Batrachochytrium salamandrivorans)
 

Sources, informations complémentaires
Sur son habitat, notamment en Bourgogne : L'Atlas des amphibiens de Bourgogne, hors-série n° 11 de la revue Bourgogne Nature, coordonné par Nicolas Varanguin de la Société d'histoire naturelle d'Autun et Daniel Sirugue du Parc régional naturel du Morvan
et la version internet des pages sur la salamandre tachetée 
Sur son statut de conservation : La Liste rouge mondiale des espèces menacées, et l'annexe III de la convention de Berne.

Retour à Inviter la faune au jardin

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article