Nourrir la faune sauvage : assistance ou piège ?

Publié le par Marie-Claire RAVE

Nourrir la faune sauvage : assistance ou piège ?

L'enfer est pavé de bonnes intentions. En croyant protéger nos animaux sauvages favoris, on leur tend de multiples pièges.

Un danger pour les animaux
- La propagation des maladies : l'exemple des oiseaux des jardins
Une étude de la Zoological Society of London avec d'autres institutions publiée en 2018 constate que nourrir des oiseaux sauvages contribue à propager les maladies. Les chercheurs ont étudié sur une période de 25 ans trois maladies courantes chez les oiseaux des jardins au Royaume-Uni et représentant trois types d'infection : la trichonomose, une maladie protozoaire, la poxvirose aviaire, une maladie virale et la salmonellose, une maladie bactérienne. Ils ont également examiné la contamination par des mycotoxines des restes de nourriture dans les mangeoires. Les résultats mettent en évidence la relation entre le nourrissage et la propagation des maladies.
Le professeur Kate Risely, qui a participé à l'étude pour le British Trust for Ornithology, alerte le public : "Nous appelons tous ceux qui nourrissent les oiseaux sauvages à prendre conscience de leurs responsabilités en matière de prévention des maladies". Elle précise que si l'on décide de nourrir les oiseaux, il faut le faire avec modération, afin que les mangeoires soient vidées tous les deux jours, voire tous les jours, et nettoyer très régulièrement ces mangeoires. On doit éviter à tout prix l'accumulation de nourriture périmée et de déjections d'oiseaux. J'ajoute que les alentours de la mangeoire doivent également rester propres.

- Le piège de de la nourriture "humaine"
Nos restes de nourriture ne conviennent pas aux animaux sauvages, ils peuvent même entraîner des décès en masse.
L'exemple du pain
Ce n'est pas parce que nous avons toujours vu nos grand-mères donner du pain aux animaux qu'il est bon pour eux. 
Le pain sec peut créer des blocages internes de l'appareil digestif des oiseaux (canards, passereaux...), blocages qui peuvent être mortels ; le pain mouillé gonfle les estomacs ce qui donne une impression de satiété et dissuade les oiseaux de rechercher une nourriture saine pour eux.
Il fait grossir les oiseaux aquatiques, ce qui les empêche de voler pour fuir leurs prédateurs. En procurant un excès de glucides et en les privant d'éléments essentiels à leur alimentation, il provoque également le syndrome dit de "l'aile d'ange", qui déforme leurs plumes et l'articulation de leurs ailes, et les rend ainsi inaptes au vol.
La distribution de cette nourriture facile modifie leur comportement, qui devient non-naturel : ils deviennent paresseux, sauf au moment de la distribution, où ils deviennent agressifs. Ce comportement est en outre  délétère pour la génération suivante car on constate qu'ils finissent par proposer du pain à leurs petits. Or les oisillons nourris au pain sont vite rassasiés mais mal nourris, ce qui compromet leur développement.
Le pain modifie la composition des fientes d'oiseaux, qui peuvent être porteuses de maladies parasitaires ou bactériennes.
Et n'oublions pas que la distribution de pain au jardin ou au bord des étangs attire les rats.
L'exemple du lait
Les vétérinaires déconseillent formellement le lait pour les chats (sauf le lait spécial chatons). On sait moins qu'il ne convient pas non plus aux hérissons, qui pourtant en raffolent ; il provoque des ballonnements et diarrhées qui peuvent être mortels.

- Le déséquilibre écologique
Les animaux passent beaucoup de temps et d'énergie à délimiter et à défendre un territoire suffisant pour un couple et ses jeunes. Une source de nourriture artificielle fonctionne comme un piège écologique en les enfermant dans la facilité et la dépendance vis-à-vis de cette source. L'excès de nourriture entraîne une diminution du territoire nécessaire à la survie et par conséquent, à surface égale, une augmentation du nombre d'individus.
L'exemple des étangs
Les masses de nourriture répandues dans l'eau lors des promenades peuvent perturber l'équilibre écologique d'un étang et déstabiliser son fonctionnement. 
Le pain délaissé par les animaux finit par pourrir dans l'eau. Il favorise la croissance d'algues, dont quelquefois des algues bleues, consommatrices d'oxygène et néfastes pour les poissons et tout l'écosystème aquatique, sans compter les odeurs nauséabondes qui s'en dégagent. Par temps chaud l'eau devenue trop riche en matières nutritives peut devenir toxique voire mortelle pour la faune, par exemple en favorisant des maladies comme le botulisme.

Un danger pour l'homme
Les populations de mammifères chassés de leur habitat naturel et d'oiseaux sauvages proches de l'Homme (mais aussi de chauves-souris !) sont connues pour être des réservoirs d'agents pathogènes zoonotiques, c'est-à-dire qui se transmettent naturellement des animaux vertébrés à l'homme et vice-versa.
L'exemple de la salmonellose
Une étude génétique des sous-espèces de salmonelles présentes en Angleterre et au Pays de Galles a apporté la preuve que les oiseaux sont à l'origine des salmonelloses humaines. Les auteurs conseillent donc de respecter une hygiène stricte lors du nourrissage des oiseaux sauvages et plus encore lorsque l'on manipule un oiseau sauvage malade.

Les dangers de l'anthropomorphisme : on protège les espèces "trop mignonnes"
La protection des espèces appréciées des humains, la petite mésange bleue, la loutre, l'écureuil, est à double tranchant. On s'identifie à ces espèces joueuses aux grands yeux, plus qu'aux vers de terre, qui ont pourtant une fonction essentielle sur notre continent. 
Or un apport artificiel de nourriture profite d'abord aux espèces opportunistes qui ont tendance à proliférer : rats, pigeons et corneilles noires, perruches, chats errants et renards, soit qu'ils consomment directement la nourriture distribuée, soit qu'ils se nourrissent par la prédation des destinataires eux-mêmes.
Le choix des espèces que l'on nourrit entraîne une concurrence "déloyale" avec d'autres espèces moins aimées, ce qui déséquilibre les populations. Il a été prouvé par exemple que le nourrissage des mésanges au Royaume-Uni entraîne la raréfaction d'autres espèces qui occupent le même territoire.
Mais pourquoi pas utiliser cette attirance vers les espèces mignonnes ? Protéger les oiseaux, c'est sensibiliser aux insectes qui les nourrissent, au respect des sols, à la reconstitution des habitats... et le reste suivra.

Conclusions pratiques
On ne nourrit pas les animaux sauvages. Une exception pour les oiseaux dans les conditions suivantes.
1. Priorité absolue à la reconstitution de l'habitat naturel : plantation de haies à oiseaux, d'arbres locaux, conservation de friches, utilisation de la plus grande biodiversité possible au jardin, conservation des arbres morts, etc.
2. Suppression totale des pesticides et préservation des sols, pourvoyeurs d'insectes et de larves diverses.
3. Nourriture modérée et adaptée : nourrir uniquement l'hiver, modérément et par petites quantités, en augmentant la nourriture par grand froid, diminuer et arrêter à temps au printemps, généralement en mars. Penser à fournir de l'eau changée chaque jour.
4. Hygiène parfaite pour éviter les maladies : nettoyage des mangeoires et abreuvoirs, et de leurs abords, changements de place de 2 mètres réguliers.
5. Résistance à la pression commerciale : mieux vaut un petit peu de nourriture maison adaptée plutôt que de la nourriture industrielle, en général de mauvaise qualité et génératrice de déchets.
6. Protection contre les prédateurs et notamment les chats.

Zéro pesticides et arbres locaux : acacia, mésange à longue queue et pucerons

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L'esprit de la législation française
Dans les grandes villes comme à la campagne, le nourrissage des animaux sauvages est souvent interdit.
En ville, l'objectif est de limiter l'urbanisation des animaux. A Paris, ce sont les pigeons qui prolifèrent, à Lyon, ce sont les étourneaux, et dans les villes côtières les goélands et les mouettes.
A la campagne, on cherche avant tout à éviter que les animaux deviennent trop familiers ou qu'ils prolifèrent, et qu'ils ne puissent plus se nourrir par leurs propres moyens : c'est le cas des canards sauvages, des corbeaux, des écureuils, des sangliers, des renards et des sauvagines comme la belette.

Comment savoir ce qui est interdit chez moi ?
Ce sont les règlements sanitaires départementaux qui déterminent vos droits et devoirs en matière de nourriture des animaux sauvages. Le Ministère de la santé a établi un règlement sanitaire  type qui inspire la plupart des préfets :
"Article 120. - Jets de nourriture aux animaux. Protection contre les animaux errants, sauvages ou redevenus tels.
Il est interdit de jeter ou déposer des graines ou nourriture en tous lieux publics pour y attirer les animaux errants, sauvages ou redevenus tels, notamment les chats ou les pigeons ; la même interdiction est applicable aux voies privées, cours ou autres parties d'un immeuble lorsque cette pratique risque de constituer une gêne pour le voisinage ou d'attirer les rongeurs.
Toutes mesures doivent être prises si la pullulation de ces animaux est susceptible de causer une nuisance ou un risque de contamination de l'homme par une maladie transmissible."
C'est donc au niveau local que vous devez vous renseigner.

 

 

Sources, informations complémentaires

Les articles synthétiques de Kate Risely sur le site du British trust of ornithologie (BTO)
Health hazards to wild birds and risk factors associated with anthropogenic food provisioning par 3 institutions dont le BTO, 8 novembre 2017
The composition of british bird communities is associated with long-term garden bird feeding, Kate Plummer, Kate Risely, Mike Toms, Gavin Siriwardena, BTO, 21 mai 2019
Epidemiological evidence that garden birds are a source of human salmonellosis in England ans Wales, Becki Lawson, BTO 26 février 2014
Zoocities, un livre de Joëlle Zask, août 2020
Voir aussi sur ce site La première carte affective du monde vivant, Maladies des pattes des oiseaux, Maladies des oiseaux : prévention

 

 

Plusieurs chroniques à retrouver dans le livre Merveilleuse faune du jardin

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